1311 kilomètres. C’est la distance parcourue sur tout type de terrain par mes dernières chaussures de trail. De la terre, de l’herbe, des pierres (beaucoup !), des ruisseaux et, péché, parfois de la route.
Je me suis amusé à faire le jeu des 7 erreurs avec la paire neuve (même modèle) que j’ai achetée.
Non, il n’y a pas d’effet d’optique : au fil des kilomètres, la chaussure s’est élargie et écrasée nettement. La semelle a fait l’expérience des forces de frottement et certains éléments pas assez bien collés ont même terminé dans la nature, rappelant mes talons à leur bon souvenir à la moindre pierre en descente (il doit rester à peine plus d’un millimètre de semelle à cet endroit).
L’intérieur de la semelle est dorénavant parfaitement moulé à mon pied, procurant un confort et une maîtrise qui permettent de bien exprimer sa foulée (à une chaussure qui possédait déjà à la base des qualités de chausson et de contrôle).
Surprise à la pesée, on gagne quand même 21 grammes (en taille 42.5), soit 8% plus léger. Cela reste tout de même sans commune mesure avec nos véhicules à moteur (47℅ des particules fines du trafic routier proviennent des pneus, des plaquettes de frein et de l’érosion de la route, les 53℅ restants provenant du carburant brulé).
Depuis 5 ans, je note systématiquement la distance totale parcourue avec mes chaussures, d’abord parce que j’ai l’amour de la statistique, mais aussi parce que cela me permet d’en construire des rapports et des tendances comme à la bonne vieille époque où je bossais au nom du service public d’une mafia qui utilisait ou non mon travail pour légitimer ses idéologies. Il y a clairement une tendance à l’obsolescence programmée de plus en plus précoce. Cependant, les modèles que je choisis sont dans la moyenne haute des durées de vie après quelques errements sur d’autres marques/modèles. Sur ce point d’ailleurs, j’en veux beaucoup à ces truands d’influenceurs, pseudo-testeurs, instagrameurs dont le propos se résume aux communications des marques, occultant totalement la durée de vie du produit du moment qu’on continue à vendre et à être chaussé gratuitement sans un minimum de conscience de ses actes.
Je lis régulièrement le conseil de jeter ses chaussures au bout de 500 à 800 km (et maintenant certains parlent de 300 à 500 km !). On pourra me rétorquer que c’est un bon conseil compte tenu de la durée de vie en pratique des chaussures. Mais là n’est pas le sujet. Il faut se demander qui de la poule ou de l’œuf ? Ce n’est pas parce qu’on est incapable de faire une chaussure qui dure qu’on conseille de les jeter si vite mais bien l’inverse…
Quant à l’argument de l’efficacité de la chaussure lorsqu’elle est neuve ou du spectre du risque de blessure agité pour faire peur et alors « aiguiller » les comportements d’achat, je le balaie en deux temps. D’abord, j’avais discuté avec un bon marathonien niçois (2h20) à qui j’expliquais que je me sentais le mieux et le plus rapide dans mes chaussures lorsqu’elles étaient en fin de vie, il m’avait répondu qu’il en était de même pour lui parce qu’alors la chaussure « tapait bien » (en d’autres termes il pouvait mieux utiliser sa foulée pour renvoyer l’énergie vers l’avant). Ensuite, sommes-nous encore dans l’ère de l’efficacité à tout prix ? Oui en partie et ça c’est le monde qui est sous assistance respiratoire, le monde d’avant, celui de celles et ceux qui y croient encore à fond et pour qui la nouvelle donne va être particulièrement violente psychologiquement (et, il y a fort à craindre, physiquement aussi). Donc nous entrons (revenons ?) dans l’ère de l’efficience, à savoir optimiser les ratios [efficacité]/[temps-distance-énergie]. Les puristes de l’endurance ou les férus de biomimétisme n’en seront pas trop déstabilisés.
Il y a 2 ans, j’avais posté une photo des mes chaussures de route usées jusqu’à la moelle (à peine 500 km…) accompagnée d’un message évoquant ma situation financière, texte peut-être maladroit d’un point de vue communicationnel mais qui avait le mérite d’être authentique. Les réactions en avaient d’ailleurs témoigné. Aujourd’hui, je continue de repousser la mise au rebut de mes chaussures. Toujours pour des considérations pécuniaires mais bien plus encore pour des raisons écologiques, sociales et sociétales. En effet, le secteur de l’habillement est bien trop souvent une ineptie vis-à-vis du vivant, que cela soit notre planète, les conditions de travail et la dignité des employés du secteur ou le modèle de société qui est mis en œuvre. Pour aller plus loin sur l’impact de ce secteur sur le simple aspect écologique qui est supérieur aux secteurs de l’aviation et du maritime réunis : https://www.linfodurable.fr/conso/limpact-de-la-mode-est-plus-important-que-les-vols-et-le-trafic-maritime-reunis-19127
Il est donc temps pour moi de glisser mes pieds dans ma nouvelle paire, d’avoir cette désagréable sensation de chaussures neuves et du différentiel de ressenti (à la faveur de la paire faite et surfaite). Mais hors de question de jeter tout de suite mes anciennes partenaires d’aventure ; elles vont démarrer leur seconde vie de chaussures de travail pour tous types de tâches physiques.