La NA-TA-TION. Cette discipline qui est la principale source d’angoisses en triathlon. Ceci est particulièrement vrai parmi les débutants. Entre la peur du contact (des coups même), l’anxiété due à ces immenses étendues d’eau dont on ne voit pas le fond et dont on ne sait pas trop ce qui y vit, l’intimidante sensation de ne pas avancer et de ne pas maîtriser cet élément, les perceptions sont suffisantes pour ne jamais se lancer dans le triathlon ou pour développer une anxiété maladive menant à des crises de panique lors des courses.
J’ai connu tout cela et j’ai connu des crises de panique. La première m’a énormément marqué. C’était en 2015 sur le triathlon courte distance d’Embrun alors que j’avais seulement quelques mois de triathlon derrière moi. Quelques minutes après le départ, catalysé par une très grosse densité de nageurs autour de moi, je me suis mis subitement à ne plus pouvoir respirer, comme si je pouvais seulement inspirer 1% de l’air que j’inspire en temps normal. C’était d’autant plus une source de panique que c’était la première fois dans ma vie qu’une telle expérience m’arrivait. Je me souviens m’être arrêté et m’être retourné sur le dos comme pour aller mieux chercher l’air et avoir vu des centaines de nageurs passer à mes côtés. Après quelques instants, j’ai réussi à reprendre la nage tout déboussolé par cette mésaventure bien peu agréable, mais le souffle n’était toujours pas opérationnel à 100%… Jusqu’à ce que je monte sur le vélo et me retrouve dans mon élément, comme si le cerveau avait commuté.
Des bras d’enfant, un gainage inexistant, une cage thoracique de souris, une masse corporelle concentrée à 99% sous le bassin et une souplesse digne d’un chêne centenaire, voilà qui ne me mettait pas en confiance du moment où je me suis jeté à l’eau jusqu’à récemment. Ajoutez à cela une certaine aversion pour l’élément aquatique et aucun passé natatoire. En fait, la seule chose que je savais faire dans l’eau, c’est ce qu’on m’avait appris plus jeune : ne pas couler, flotter. Il allait donc falloir apprendre à se déplacer dans un fluide dont la densité est 800 fois supérieure à celle de l’air : d(air) = 1.2kg/m3, d(eau douce) = 1000kg/m3.
Ci-dessous, un graphique hautement technique élaboré en collaboration avec la NASA présente via quelques performances significatives ma progression chronométrique en compétition sur des distances allant du demi-Ironman à l’Ironman (dans mon cas, les vitesses sont très similaires bien que les distances aillent du simple au double). En ordonnée figurent les allures en secondes pour 100 mètres.
Quelques commentaires :
• Je n’ai volontairement pas inséré ma première séance natation, sur laquelle j’avais pourtant tout donné motivé comme jamais, à l’été 2014 puisque ça venait aplatir tout le reste du graphique. Mais il est à noter que ce jour-là j’avais nagé 2000 m en 1h11, soit 3’33″/100 m. Un tel chrono en compétition m’aurait mis hors délais dès la partie natation.
• Pendant des mois, j’ai nagé la tête hors de l’eau (oui, comme tous ces gens au style très gracieux l’été à la mer) et la natation consistait pour moi à faire des mouvements anarchiques de rotation avec mes bras. Vraiment. Malgré des recherches et des heures de visionnage vidéo de bons nageurs, je n’arrivais pas à faire le lien avec mon propre corps. Je me refusais à immerger ma tête par instinct pourrait-on dire, et le pire c’est que j’étais persuadé que j’allais faire cela pendant 4 km lors de mon premier Ironman à Nice en 2015. J’avais bien remarqué que PERSONNE ne faisait cela, mais ce n’est absolument pas le genre de constat qui m’arrête et, soyons réalistes, c’est faisable. Il y a eu un premier déclic fin 2014 alors que je nageais dans une eau particulièrement limpide et turquoise, le long de la plage de Saleccia pour les connaisseurs, je me sentais bien et j’ai voulu essayer de mettre la tête dans l’eau à plusieurs reprises et surprise : ça ne se passait pas si mal et en bonus je pouvais voir toute la beauté sous la surface de l’eau.
• Quelques semaines après, début 2015, je faisais un test en combinaison en mer, dans la baie de Saint-Florent cette fois. 1900 m en 38 min, là c’était sûr : j’étais sur la bonne voie.
• Des comparaisons de positions à l’issue de la natation en compétition sur des épreuves dont on dit que le niveau s’élève et se densifie année après année :- Cannes International Triathlon : 200ème en 2015, 130ème en 2016, 63ème en 2019- Ironmans : 1200ème à Nice en 2015, 1400ème à Barcelone en 2016 (combinaison interdite pour la catégorie PRO dont je faisais partie, mais autorisée pour les autres), 71ème à Lanzarote en 2019.
Conclusions :
Une progression n’est pas forcément linéaire, avec des longues phases de stagnation, des courses ratées faisant penser à une régression. Ceci peut s’expliquer par des sentiments de malaise dans l’eau et avec les autres, l’aspect intimidant de la compétition, également par un entraînement quasi absent (ça a été mon cas pendant 9 mois en 2015) notamment quand la mémoire du corps n’est pas encore assez développée, autrement dit quand on est débutant.
La natation est une discipline ultra technique, du fait des résistances aquatiques, et comme toutes les disciplines techniques (piano, skate, ski, etc), c’est la mémoire du corps, les connexions neuro-musculaires, qui vont faire une énorme différence entre les adultes qui auront nagé pendant l’enfance et ceux qui auront commencé beaucoup plus tard. Vous avez peut-être déjà remarqué ces bons nageurs qui arrêtent pendant des mois de nager puis qui nagent au moment de la reprise directement à des allures proches de leurs allures habituelles.
Pour ma part, malgré des prédispositions à jouer plutôt le rôle des bouées bien ancrées dans les fonds que celui des triathlètes écartant les eaux, je suis parvenu en partant de zéro à nager en moins de 1’30″/100 m pendant une heure, 57 min sur mon dernier Ironman. La courbe de tendance sur le graphique montre grossièrement une progression de 5″/100 m par an. Evidemment cette pseudo-linéarité va connaître une courbure moins marquée dans les temps à venir mais elle a le mérite de marquer une tendance. Au niveau des volumes, j’ai nagé jusqu’à 2018 une heure par semaine en moyenne avec de grosses disparités (parfois 3 heures par semaine puis plus rien pendant des semaines voire des mois) et maintenant je suis plutôt à 3 heures par semaine avec une certaine régularité. Cette augmentation du volume vient compenser la courbe de tendance qui devrait logiquement mécaniquement s’aplatir si je conservais seulement une heure par semaine.
J’espère que cette publication vous aura aidé à mieux comprendre, à relativiser la natation et réaliser l’évolution que l’on peut mettre en œuvre. Et qu’elle vous donnera le goût du déplacement aquatique. Nous avons des millions de neurones sur la peau, des millions de capteurs qui, geste après geste, progrès après progrès, deviennent vecteurs de vertu.
Super récit 👍🏻, je débute en natation et je fais mon premier triathlon dans 6mois ironman70.3 et mon niveau est catastrophique, je m’arrête tous les 50 à 100 mettre. J’ai l’impression que la natation n’est pas pour moi et que malheureusement je risque de vivre un vrai cauchemar… Mais t’es quelques lignes me donnent un peu d’espoir…
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Merci.
A la lecture de ton commentaire, comme beaucoup d’entre nous tu sembles t’enfermer dans une attitude négative vis-à-vis de la natation. Il y a plusieurs manières de trouver du relâchement pour accepter la situation afin de progresser sereinement ensuite. Par exemple :
– la manière dure (tu vas nager le plus souvent possible et ça finira bien par rentrer, c’est pas la façon la plus fine ni la plus efficace)
– les exos/éducatifs qui te permettent petit à petit de comprendre comment tu évolues dans l’eau, de sentir ta nage et de créer ces fameuses connexions neuro-musculaire. Ce sont des supers supports du moment que tu t’immerges dedans comme dans un bouquin ou un film, dans un état entre l’observateur et l’acteur. Régulièrement, quand je sors d’un entraînement natation, je me suis tellement immergé dans ce que je faisais que j’en ai un peu mal à la tête, comme après un examen 😉
– un travail sur ta psychologie, un entraînement mental en quelque sorte, pour parvenir à plus de relâchement, une meilleure sérénité et prendre confiance dans ses possibilités. Quelques séances avec un sophrologue du sport ou un préparateur mental peuvent être une idée d’accompagnement dans ce processus. J’écrirai prochainement un article sur l’aspect mental dans le sport.
Bon courage !
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Merci pour ton retour. Je suis en phase et je vais plutôt me concentrer sur l’aspect éducatif car en effet la natation est un sport extrêmement technique et cela ne saute pas forcément aux yeux au premier abord. Il me reste 6 mois pour trouver la formule magique et surtout travailler !
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