Il s’agissait de ma première course à l’étranger, de ma première organisée par la franchise CHALLENGE FAMILY ainsi que de mon premier départ « Elite » et non en mass start avec les amateurs (c’est-à-dire en premier quelques minutes avant les différentes vagues d’amateurs).
Une occasion d’accélérer encore l’apprentissage et d’apporter un rafraîchissement spirituel bienvenu.
Nous arrivons jeudi sur la côte adriatique avec mon vieil ami Flo, pas le temps de se poser, on part directement faire la reco vélo avant que la nuit ne tombe. Une atmosphère et des paysages inédits nous enchantent de Coriano à Monte Cerignone en passant par Monte Grimano Terme, et mon compteur de vitesse me rappelle que lorsque j’évolue dans la nouveauté et la beauté, je suis tellement plus à l’aise.
Le lendemain, j’en ai profité pour faire quelques répétitions du départ natation, le hasard des belles rencontres a fait qu’en sortant de l’eau, je me suis fait interpeller par Marco Piagentini, photographe pour la course, pour mesurer la température de l’eau. L’après-midi, nous voulions absolument aller découvrir un village que l’on voyait depuis l’autostrada qui dominait une falaise, il s’agissait en fait de Saint-Marin. L’occasion de faire voir encore un peu de pays à mon vélo.
Dimanche 10h : place à la course
Après une présentation des pros amusante (et qui rajoute un peu de pression aussi) digne d’un péplum, la corne de brume donne le départ et je cours à bloc sur la plage puis dans l’eau pour commencer à nager en 4-5 ème position, je me trouve dans le groupe principal au début mais je n’arrête pas de me faire dépasser puis je me retrouve en queue de groupe. Je me fais passer par un groupe de femmes pros mais je n’arrive pas non plus à nager dans leurs pieds (et là je me rends compte que je ne sais tout simplement pas « prendre les pieds »). Au bout de 800 mètres environ, je me retrouve tout seul en pleine mer, dernier pro, c’est le début du calvaire psychologique. Peu après, lors d’un passage de bouée, je tourne à droite alors qu’il fallait aller tout droit (ça en dit long sur l’état mental dans lequel je me trouvais), c’est un scooter qui me le signalera au bout d’un moment en venant à ma hauteur. Coup fatal, détresse 2000. J’essaie de retrouver le chemin mais tout seul je fais beaucoup de zigzags et je vois mal les bouées. Quelques minutes plus tard, la première amatrice partie 5 minutes après moi me dépasse, non, m’atomise à une allure incroyable, je me suis vraiment senti minable à ce moment-là. Bref, je termine tant bien que mal la natation seul, en me demandant en permanence si je dois rester dans l’eau pour échapper à la honte à la sortie de l’eau ou abandonner à la sortie. Je savais que j’étais en train de me prendre une petite quinzaine de minutes dans la tronche et que remonter serait impossible, surtout en étant mentalement ravagé. Je sors finalement de l’eau au bout d’une durée comparable à celle de l’ère primaire, seul, au-delà de la trentième place, il y a vraiment beaucoup de spectateurs et autant d’habitude ça me donne une grande énergie, autant là j’aurais préféré qu’il n’y ait personne. Ils m’encouragent mais ça ressemble plus à de la pitié qu’autre chose. A ce moment-là, je suis vraiment perdu, je cours machinalement mais je ne sais pas du tout ce qu’il m’arrive, complètement abattu (c’est d’habitude le genre de sentiment réservé à quelque chose de très grave comme un truc atroce arrivé à un proche), le regard dans le vide.
Machinalement toujours, je prends mon vélo en regardant vite fait les spectateurs amassés devant mon rack (normal les vélos des pros sur les racks autour de moi étaient tous partis depuis longtemps), là j’ai vraiment senti la pitié, la compassion de leur part… Ce moment où tu veux te faire tout petit et que personne ne te voit, raté.
Point positif de cette transition : je fais enfin une transition natation/vélo correcte, au moins le cumul des courses n’est pas vain pour ça.
L’état d’esprit sur les premiers kilomètres du vélo est toujours le même, perdu de chez perdu, l’effort reste toujours machinal et je me demande continuellement si j’abandonne. Pendant ces moments, il m’arrivait de penser à Flo qui m’attendait au bord de la route et à tous ceux comme vous qui m’avez envoyé quelques mots avant la course. Alors autant vous dire que sur l’instant ça ne changeait rien à mon état, mais ça a plutôt du aller dans mon inconscient et probablement qu’ensuite ça m’a aidé, je ne sais pas trop. Pendant une vingtaine de minutes, je suis toujours tout seul puis je rattrape la dernière femme pro, horrible de ne jamais voir personne devant. Bien plus tard, je rattrape le dernier homme pro et lors d’une portion en aller-retour, je mesure mon retard abyssal sur la tête de course (en fait sur le second, le futur vainqueur Grande Giulio Molinari était déjà passé à l’occasion du récital magistral qu’il a donné pendant quatre heures). Je fais un peu n’importe quoi tout le vélo, alternant les moments où j’essaie de produire un effort et les moments de dépit où je ne faisais pas mieux qu’un entraînement en endurance. Je termine le vélo tant bien que mal un peu plus mobilisé dès que j’avais un triathlète en point de mire mais c’était pas souvent. Dans les derniers kilomètres, je double 3 gars et à ce moment je me rends compte que c’est aussi beaucoup ça qui me motive : même si j’étais loin de mon objectif, j’étais plutôt content de fuser à 50 km/h en bord de mer.
Je fais une transition complètement nulle puisque les 3 mecs que je venais de doubler et à qui j’avais dû coller 20 secondes me doublent dans le parc à vélo (il est prévu que je m’entraîne enfin à descendre du vélo en marche et à courir pieds nus). J’en redouble deux après la transition en partant sur ma vitesse cible de 17 km/h sur demi-Ironman mais le troisième est parti aussi vite (il fera le meilleur temps du semi marathon finalement), je ne me rapproche pas vraiment et mentalement je n’arrive pas à m’imposer une allure soutenue sachant que je ne joue plus rien dans l’immédiat au vu des écarts devant (l’objectif était top 6, i.e. prime et podium). Je ralentis du coup… C’est peut-être idiot finalement parce que dans ces moments-là, tant qu’on est debout, se remobiliser, faire le vélo et la cap à fond, produire l’effort jusqu’au bout, avec ou sans concurrent à proximité, ça comptera pour beaucoup ensuite. C’est aussi l’occasion de démontrer que je suis capable d’enchaîner des vélo+cap dans le top. Il s’agit aussi de jouer avec les autres, pas seulement ceux qui sont en position de faire un podium. L’idée est donc dans un premier temps de parvenir à isoler mentalement la composante natation des deux autres épreuves.
Je cours alors en me disant que je ne pouvais que contenir d’éventuels retours mais je note que ma fréquence cardiaque est bien haute pour cette allure par rapport à d’habitude. Après analyse, ceux qui courent à 17km/h ou plus d’habitude n’ont pas réussi à dépasser les 16 km/h. Ces deux éléments me font penser que le taux d’humidité de 95% n’y était pas pour rien. Il y avait aussi un vent d’est et un soleil voilé. Pour vous donner une idée de l’atmosphère, ça ressemblait à un Mad Max ou au Livre d’Eli. Post-apocalyptique.
Je rattrape une femme pro lors du second tour alors qu’elle commence son semi-marathon, on échange vite fait quelques mots, elle me demande mon allure. Elle était loin des premières pros à ce moment-là, et comme c’était mort pour moi, je me suis dit que j’allais l’accompagner dans sa remontée (elle fera le second temps course à pied des femmes au final), ça m’a donné un petit but. Je suis content pour elle parce qu’elle a bien remonté et termine finalement 6ème, synonyme de prime et podium.
Pour ma part, je termine 12ème Elite avec le second temps vélo.
Pour conclure, voici ce que je retiens :
- En terme d’expérience de course et d’expérience de vie plus largement, j’ai été servi dimanche. Et rien que pour ça, je me sens chanceux.
- Le séjour était trop bien, on s’est régalé comme rarement à Rimini et dans les collines, je suis un peu tombé amoureux de cette région et de ses habitants.
- Mes impressions sont toutes aussi bonnes concernant la course. C’est une des meilleures à laquelle j’ai eu la chance de prendre part. Ambiance, organisation, état d’esprit, etc, tout était quasi parfait. Finalement, même si certains parlent d’un manque de bouées indicatrices ou d’embarcations sur l’eau pour mieux diriger et moins faire de zigzag, je pense que c’est aussi une des qualités que doit finir par avoir un triathlète que de savoir se repérer en eau libre. Je lève mon pouce pour le départ à 10h aussi qui permet un réveil en douceur (la dolce vita italienne ?) et une meilleure prise en compte des rythmes biologiques. Je ne sais pas si c’est l’effet « label CHALLENGE » en général ou simplement la course de Rimini, mais cette course me correspondait mieux que certaines courses d’un label très connu… Ne pas se prendre au sérieux mais le faire sérieusement, très frais. C’est pas forcé, ça fait pas faux mais plutôt naturel. De la joie de partout. L’ambiance était top ; les Italiens sont forts pour ça. Rien que les flics, heureux, qui t’encouragent de tout leur coeur, je pense que juste cette image suffit à se rendre compte de l’atmosphère. J’espère que cet événement restera ainsi année après année et que les organisateurs n’attraperont pas le mal du siècle qui est de vouloir toujours faire plus ci, plus ça, la folie des grandeurs…
- En ne ratant pas autant en natation et en nageant aussi moyennement que d’habitude, comme le mois dernier à Cannes par exemple, il y a moyen de gagner beaucoup de minutes sur la natation, de se replacer dans la course, de bénéficier d’une meilleure motivation et pourquoi pas d’entrer dans le TOP 5. Pour faire encore mieux, il faudra nager beaucoup…
- Après avoir discuté avec certains d’entre vous, oui c’est sûr que ça vaut des podiums en amateur sur des courses internationales. Ca reste un élément de comparaison intéressant pour juger de la progression mais je reste focalisé sur mon objectif : j’ai misé ma vie (en tout cas les 15 prochaines années) sur le triathlon professionnel et je me dois absolument de pouvoir en vivre rapidement. Ca peut sembler difficile à comprendre d’entendre que 12ème sur la plus grande course demi-Ironman d’Italie ne me satisfait pas du tout (on parle juste du résultat), mais à partir du moment où ça ne me permet pas de subvenir à mes besoins directement (primes) ou indirectement (sponsors, mécènes, prêt d’une planche à billet…), l’objectif n’est pas atteint. Le jour où on vient me voir pour m’annoncer qu’on me file quand même de l’argent même si je fais 15ème, momentanément l’objectif sera rempli, ce qui permettra d’évoluer dans une certaine sérénité. Mais le modèle économique du triathlon est totalement à revoir.