« Mais quelque chose a changé, je suis passé de l’autre côté. C’est moi qui ai tapé dans les mains des petits qui courraient toute la journée aux ravitos pour aller chercher d’autres éponges, d’autres gobelets afin d’aider ces « drôles de bonhommes » à en finir de leur quête. » Xavier G.
Préambule
L’Embrunman. L’Ironman d’Embrun. Le triathlon le plus dur du monde. Le mythe. Le championnat du monde de triathlon hors-catégorie. Un des 4 majeurs historiques du triathlon avec Hawaii, Roth et Nice. Le truc le plus ouf malade de l’univers intergalactique puissance 1 000 000 de la mort qui tue. L’Embrunman est également la course XXL sur laquelle le plus grand nombre d’abandons est généralement constaté. Par rapport à un Ironman « roulant », il faut rajouter 1h30 à 2h sur le temps final, autant dire que la journée commencera de nuit et se terminera pour beaucoup de nuit également… L’épreuve va bien sûr aller tester les résistances physiques avec son profil ultra sélectif, mais c’est le mental qui va subir une thérapie musclée, notamment sur le marathon. Cette journée dans les Hautes-Alpes verra donc s’enchaîner 4 kilomètres de natation, 185 km de vélo avec 3500 mètres de dénivelé (5000 m d’après l’organisateur, 40 000 m d’après les syndicats, 10 m d’après la police) avec notamment l’ascension du fameux Col d’Izoard classé hors catégorie, et un marathon (42,2 km) plutôt casse-pattes avec 500 mètres de dénivelé. Même en natation on pourrait dire qu’il y a du dénivelé sur cette course puisque le départ de nuit peut conduire à passer sur certains triathlètes ou se faire couler par d’autres par manque de visibilité, panique, excès de testostérone.
Voilà, ça c’est le mythe populaire, les on-dit de l’épreuve, ce qui est colporté partout chaque année.
Ce long récit d’aventures me permet de faire un point à cette époque charnière de la saison. A froid une semaine après la course. Il a pour vocation de m’interroger, de tirer des leçons, de faire un compte-rendu et de dresser un bilan sur l’Embrunman mais aussi et surtout sur la saison (et les années passées), la viabilité de mon projet, mes capacités intrinsèques et mon niveau actuel. C’est aussi l’occasion de vous interroger sur ma pratique mais aussi sur la vôtre, de sonder, de tester. Autant annoncer tout de suite qu’il y aura des digressions régulières. J’espère qu’il suscitera des réactions parmi vous, qu’il vous apportera quelque chose de positif voire d’utile. Et pourquoi pas vous inspirer. Enfin, il s’agit aussi d’essayer d’être transparent, lucide, critique et de partager. Partager un état d’esprit, une évolution. Tout comme j’adore partager des entraînements. Un athlète, c’est d’abord un individu et les performances ne dispensent pas du partage avec la communauté sans avoir continuellement cette peur d’en dire trop. Le triathlon (au sens très large du terme qui comprend le sport mais aussi les hommes et femmes que je rencontre) m’apporte beaucoup, il est normal que j’essaie d’apporter ma petite contribution.
Contexte
Je suis venu à la compétition et au triathlon plus particulièrement dans le seul but de participer à un Ironman, en l’occurrence celui de Nice en 2015. Après avoir posé le vélo en 20ème position, j’avais eu des douleurs de ventre d’un autre monde pendant le marathon mais j’avais terminé et donc réussi ce qui me procurait tant d’émotions depuis des années en tant que spectateur. Depuis, j’ai choppé le virus du triathlon.
Cet Embrunman était donc ma seconde véritable expérience sur la distance deux ans plus tard, et ma première sur une durée de course aussi longue. Petit à petit, j’ai commencé à comprendre la dimension particulière qu’avait cette course aux yeux des triathlètes mais aussi pour les observateurs et les personnes plutôt étrangères au milieu sportif. Pour moi, c’était aussi LA course de l’été et celle sur laquelle se jouerait cette saison qui a commencé de manière catastrophique en avril le jour où j’ai perdu beaucoup lors du vol (vélo & co). Certes uniquement du matériel mais quand la situation financière est déjà bancale et que l’argent est le nerf de la guerre dans ce sport, d’autant plus chez les pros, c’est le coup dur. Résultat : un mois et demi quasiment sans s’entraîner, une petite déprime et les acquis de l’hiver envolés. Ensuite, j’ai pu recommencer à m’entraîner correctement après le 15 mai, mais avec un sacré déficit de forme. J’ai terminé malgré tout 6ème du Ventouxman début juin avec des sensations plutôt agréables, ce qui a contribué à me remettre en selle pour les échéances estivales.
Les jours qui précédaient la course n’étaient pas sous le signe de la confiance, mais même le grand Kévin Mayer dit qu’il est très mal avant une grande compétition pour finalement devenir le champion qu’on connaît dès qu’il entre dans le stade. Manque de sérénité d’autant plus que j’avais annoncé et espérais un trio magique 1h-6h-3h pour chaque discipline dans un grand jour. C’était aussi ma manière d’avoir un minimum de ligne de conduite à l’entraînement. Mais après la grosse déception du triathlon de l’Alpe d’Huez (top 10 au pied de l’Alpe puis plus aucune force pendant toute l’ascension) qui était un des 3 objectifs de l’été (avec le Ventoux et Embrun), je ne faisais pas le fier en débarquant dans l’Embrunais.
Depuis quelques jours, je recevais plein de messages qui donnaient la banane. Certains semblent comprendre ma psychologie et me conseille d’oublier toute pression du résultat et que c’est à chaque fois que je me suis crispé que j’ai raté ma course (le dernier exemple étant l’Alpe d’Huez), ça fait du bien de se faire rappeler des choses pareilles avec un regard extérieur quand on est un peu trop la tête dans le guidon, pas toujours capable d’analyser ses failles. Sur un hypothétique résultat, mon pote Flo allait aussi dans ce sens en m’expliquant que le bon processus n’est pas de se dire « TOP 10 » sur ces épreuves-là. Parce que l’Ironman, c’est contre soi, ce n’est pas un duel contre les autres. A moins d’être en tête au 35ème kilomètre du marathon avec un autre gars… Lui qui me connaît depuis deux ans pense aussi que je ne peux pas réussir un Ironman en souffrant mentalement (on parle là plutôt de frustration, d’énervement, que de difficulté à proprement parler), je me souviens alors de l’expérience de l’Ironman Barcelone en 2016 qui corrobore ses dires. Il me conseilla aussi de scotcher sur mon vélo des éléments essentiels à garder en tête qui me sont propres…
Enfin, juste avant de me coucher la veille au soir, l’ami Colin Arros m’envoie précisément ces mots qui résonneront tout le lendemain dans ma tête : « Pour demain je te conseillerais de faire du 100% Romain : encourage tout le monde avec la banane, comme si c’était ta première année de tri et que tu n’avais rien à prouver, et plus tu t’approcheras du 100%, plus le résultat sera bon ! J’ajouterai un truc que j’aurais aimé qu’on me dise cette année sur mon Ironman : la difficulté c’est dur, ça fait mal à la gueule, mais ce n’est pas grave ! Ça n’empêche pas d’avoir le sourire ! »
Mardi 15 août 2017
Le réveil sonne à 4h et l’horloge biologique est détraquée. Mon corps et mon esprit qui préfèrent largement s’entraîner l’après-midi voire le soir s’en retrouvent confus. Dégustation du gâteau-sport maison préparé par ma maman (100% naturel). Petite anecdote : la veille au soir des courses, j’ai l’habitude de manger une pizza. Pour Craig Alexander, c’était les lasagnes, moi ce sont les pizz’. Et ce soir-là, je n’ai pas trouvé une pizzeria avec moins d’1h30 d’attente, par défaut je me suis rabattu chez Monsieur Mc Donald qui m’a fourni une pitance sans effets dévastateurs le lendemain. Les collègues de la Team Hard Triathlon Life apprécieront.
Le temps de se préparer tranquillement, j’arrive peu après 5h au parc à vélo. Ah non, DEVANT le parc à vélo. Il y a une file d’attente pas possible pour rentrer dans le parc, contrôle d’identité obligatoire… Il n’y a que sur cette épreuve que j’ai vu ça, assez stressant vu le temps que ça prend et j’imagine déjà l’état dans lequel doivent être les malheureux qui ont oublié leurs papiers dans la voiture, ou pire, à l’hôtel. Bref, arrivée un peu tardive dans le parc à mon emplacement et il reste un paquet de monde à faire rentrer. L’ambiance est relativement calme, je ressens une grande humilité face à cette journée dans cette atmosphère ainsi qu’un côté paisible. La préparation ayant pris du retard, je me retrouve à enfiler ma combinaison de natation au dernier moment parmi la masse des triathlètes sur la plage à quelques minutes du départ. Difficile alors de prendre le temps de travailler sa respiration ventrale et de faire le vide dans l’esprit. Mais je regarde un peu les montagnes que l’on devine dans l’obscurité et ça va mieux. La journée sera belle, il va faire beau et chaud, le coin est paradisiaque, les autres triathlètes sont là pour passer une journée inoubliable eux-aussi, les spectateurs sont là pour nous, mes parents sont venus, etc. Je suis là pour faire ce que j’aime. Mon job, c’est de courir ici et maintenant.
6h. PAN ! N’étant pas dans les premières lignes à cause du retard dans ma préparation dans le parc, je me doute que je ne vais pas pouvoir accrocher les premiers packs. Je cours quand même et je me foule un doigt de pied en tapant le pied d’un autre triathlète, c’est douloureux mais je reste dans l’état neutre, l’état zéro dont m’avait beaucoup parlé Colin à l’Alpe d’Huez. C’est un des points principaux que je souhaite travailler dans le futur, c’est assurément une clé du succès en compétition. Je plonge donc dans l’eau en ayant conscience de ce mini handicap mais sans y rajouter plus d’émotions que cela. Il fait nuit, on n’y voit pas grand-chose et les triathlètes qui ont eu le malheur de plonger trop tôt avec peu de fond se font un peu chahuter. On m’avait dit que l’orientation sur le premier kilomètre jusqu’au demi-tour consistait simplement à rebondir sur les autres nageurs à droite, à gauche, devant, derrière en espérant être dans un groupe lucide. Pour ma part, sur les 300 premiers mètres, poser un crawl a été bien difficile, ça n’avançait pas, les fameux bouchons du 15 août. Mais en même temps on sent bien qu’on est aspiré vers l’avant par la masse. Alors on fait quelques mouvements de brasse, un peu de crawl et on attend que ça se dégage un peu.
Avec la nuit, les eaux troubles et les 1500 autres copains du jour, je craignais aussi de faire une sorte de crise de panique comme cela m’était arrivé sur le triathlon courte distance d’Embrun 2 ans auparavant. Au contraire, dans la continuité de l’atmosphère qui régnait dans le parc à vélo, j’étais serein. Comme ces animaux à qui l’on couvre les yeux lors d’une intervention pour les calmer, la nuit m’avait apaisé. Au bout de quelques minutes, je finis par apercevoir des packs en formation devant mais ils sont déjà loin et je sais que tenter de faire l’effort pour les rejoindre serait un gros risque sur Ironman. Les trajectoires de beaucoup autour de moi sont assez aléatoires dans la pénombre alors régulièrement je me retrouve esseulé pour garder le bon cap quitte à nager un peu moins vite qu’en groupe. Etant donné qu’il n’y avait pas de réelle organisation de packs là où je me trouvais, ça m’a semblé être la meilleure option du moment. J’apprécie le moment, j’aime ce lac, la température est bonne, les sensations sont bonnes, on entend bien le public sur la digue et les speakers.
Quand je lève la tête, je vois le jour puis le soleil qui commence à se lever sur les montagnes, c’est juste magique et l’émotion est alors plus grande qu’au départ quelques dizaines de minutes avant, je prends pleinement conscience de ce qu’on vient d’entamer. Je n’avais pas de certitude sur ma capacité à tenir 4 km en course sans franchement faiblir mais le chrono a parlé et j’ai bouclé ces 2 tours à la même allure pour un temps total de 1h02 sur une distance un peu supérieure (200 à 300 mètres de plus) à l’an dernier pour les amateurs de comparaison. Je sais qu’en prenant un bon pack dès le début, j’aurais pu gagner quelques petites minutes, ce sera pour la prochaine fois. Je ne boude pas ma satisfaction non plus puisqu’il y a moins d’un an, je nageais un quart d’heure plus lentement sur cette distance en sortant complètement lessivé. Maintenant, je me sens beaucoup plus à l’aise dans l’eau avec des bonnes sensations et je sors fringant. L’entraînement et les conseils des uns et des autres m’aident assurément. Petit à petit, on comble l’écart moi et ma « bonne flottabilité ». Je m’étais fixé pour objectif de nager cette année mes triathlons à 4 km/h (1’30/100m), j’y suis plus ou moins.
A 7h02, je me retrouve devant mon vélo dans le parc. La transition est un peu molle mais ça part vite une fois sur la selle dans la fameuse avenue des Acacias. Il y a un mur de spectateurs, c’est le Tour de France ! Je double à vive allure et ça plaît à la foule et à moi encore plus du coup. Je fais comme on avait dit avec Colin : je fais ma course comme j’aime la faire quand je le sens. Et là je le sentais bien. Un peu plus loin dans la première côte, je me fais doubler d’abord par Thibaut Humbert puis par Cédric Jacquot. Je me fais un peu violence pour ne pas suivre leur rythme même si je sais que ce sont des très bonnes références à garder en point de mire. J’ai décidé de faire MA course et rien n’y fera. J’avais encore l’expérience de l’Alpe d’Huez en tête où j’ai trop voulu faire la course des autres, ce qui a engendré trop de crispations et de stress négatifs. De toute façon, je suis content de mon allure et content tout court d’ailleurs, j’encourage un maximum de concurrents, réponds, souris, remercie le public, je suis plutôt proche du 100% Romain.
Les premiers rayons de soleil nous parviennent dans la descente sur Savines, de belles couleurs, l’esprit apprécie. A partir de Savines, un vent de face nous accompagnera jusque dans la vallée du Guil au pied de l’Izoard, pas banal. Il usera encore plus les organismes. On commence à m’annoncer des écarts. 17 minutes. Je n’ai pas repris une seconde sur la tête de course, ni perdu d’ailleurs. Je me doutais que ça allait rouler fort sous l’impulsion d’une partie des excités du bulbe déjà présents à l’Alpe d’Huez. Je ne me formalise pas plus que cela sur les écarts. Ni même sur ma fréquence cardiaque affichée au compteur. Il est arrivé trop souvent que je m’énerve, que je veuille accélérer ou ralentir en fonction du nombre que je voyais par rapport à ma vitesse. Là cette fois, je la regarde à peine de temps en temps, mais ne l’analyse pas. Je bats à 130 bpm ? Soit. A 170 bpm ? Soit. Le fameux état neutre, état zéro évoqué la veille de course. Ne pas coller une émotion trop forte à ce qui peut se passer en course.
Au bout de 40 km en repassant à Embrun, c’est à nouveau la foule des grands jours et j’en profite pour attaquer un gars qui roulait avec moi depuis Savines. Ça excite le public et moi aussi. Je fais ce que j’aime. Quelques mètres plus loin, mes parents m’encouragent, je suis super content, leur parle, tout en restant dans ma bulle. Ils veulent m’annoncer des écarts et des places mais je leur dis de ne pas le faire parce que ça me met la pression venant de leur part. En fait, m’accompagner tout au long de cette journée est déjà parfait. Le vent ne faiblit pas à l’approche de Guillestre et, après avoir doublé des sacrés gaillards dont Scott DeFilippis à qui je glisse quelques mots d’encouragements et qui me répond un truc sûrement sympa mais incompréhensible dans un anglais américain chewing-gumesque, la féérique vallée du Guil débute. Je reste dans mon état zéro, je me sens toujours bien, RAS. Je me souviens de ce que me disait le Ju Zu avant la course : rester patient, la différence se fera après les 130 premiers kilomètres. L’Izoard se profile alors et je suis encouragé par des arbitres, ça fait vraiment plaisir de voir aussi cette facette. Comme les carabinieri à Challenge Rimini.
L’environnement est splendide, le public chaud, je tape un peu la discute avec un pro néo-zélandais très cool que je rattrape, Samuel Clark. Il n’a pas ce genre de cols chez lui et c’est dur mais je sens que notre petite discussion lui fait du bien, et à moi aussi. Une façon d’éviter que la difficulté monopolise la conscience. Passage grandiose dans la Casse Déserte puis j’en remets une couche sur les deux derniers kilomètres avec du monde au bord de la route, laisse mon compagnon d’un instant et dépasse Cédric Jacquot qui n’est pas au mieux. La longue descente sur Briançon se fait sur une route quasi déserte avec une température agréable, trop bon ! Les 70 derniers kilomètres jusqu’à Embrun seront un long fleuve tranquille. Tout comme l’auront été ces 6 heures de vélo.
Je commence à rêver de mon trio magique (1-6-3) et donc d’un super marathon avec ces jambes fraîches. Le vent de face était bien là (thermique) comme chaque année. Aérodynamique sur le vélo de chrono avec les jantes hautes (82 mm) sur terrain vallonné, tout ce que j’aime encore une fois. Dans le fameux mur de Pallon (1,5 km à 12% en ligne droite), je chauffe un peu plus le public déjà bien réveillé sous 30°C en accélérant, ce qui me permet de me rendre compte que tout va bien encore. Idem dans l’ultime côte au retour sur Embrun, celle qu’on appelle la Bête, la côte de Chalvet. J’y double Charlotte Morel première fille partie 10 minutes avant les hommes et super nageuse, et l’encourage, évidemment. La descente jusqu’au parc à vélo est carrément dangereuse sur un goudron dont il ne reste plus grand-chose et avec des zigs et des zags interminables. Impossible de se relâcher tranquillement et de bien libérer le diaphragme pour préparer la course à pied. Il commence à faire vraiment chaud et la capacité à gérer le cagnard est une inconnue de plus sur le marathon. Sur cette partie vélo, j’ai bu 3,6 litres de boisson isotonique (High 5, non sponsorisé) et 300-400 ml d’eau, soit un peu plus de 600 ml par heure, et ingéré 5 gels en tout High 5 et Powerbar.
13h13. J’arrive au parc à vélo et prend le temps de prendre le temps sur la transition. Je n’ai jusque-là subi à aucun moment, la course a été très plaisante et est passée vite du coup. En débutant le marathon, je note cependant que je suis un peu pataud. Peu importe. Je tape dans les mains du public, des enfants, je souris. Et c’est parti pour 3 tours sur les rives du plan d’eau d’Embrun, de la Durance, dans le village d’Embrun et sous son roc pour un total de 42,2 km. L’an dernier, il y avait 39 à 39,5 km selon les GPS. Ça tombe bien pour cette année, je suis venu pour faire un authentique marathon.
Sur le premier aller-retour, je croise un groupe de 4-5 unités quelques minutes devant moi, je les vois au dernier moment et ça faisait tellement longtemps que j’étais tout seul sur le vélo que ça m’a surpris, comme si j’avais oublié qu’on était juste un gros millier avec un dossard autour de la taille. Je sens bien que les allures ne sont pas folles. Mais la foulée est « belle » dixit le public. Je suis dans l’état d’esprit d’un long footing dans la montagne. Je me souviens du bon conseil de Yannick Cadalen : ne pas marcher aux ravitos, trottiner doucement mais garder un certain dynamisme pour que la tête et le corps restent dans une optique « course à pied » plutôt que « randonnée ». Je n’ai pas marché une seule fois pendant le marathon, petite fierté.
Il y a beaucoup de spectateurs une nouvelle fois et ils nous donnent un max d’énergie. Ainsi, la fameuse côte Chamois passe bien et c’est la folie lors des passages dans le village, les bars et autres commerces mettent une sacrée ambiance. Les touristes et badauds se prennent aussi au jeu. Je regarde le panneau de cette rue pavée : rue de la Liberté, bien nommée. Sur ce premier tour, j’ai la route pour moi seul et c’est une sensation que j’adore. Depuis le début de la journée, j’avais commencé à intégrer ce qu’était le triathlon d’Embrun. A ce moment-là, je comprends à 100%. C’est aussi juste après que j’ai commencé à un peu gamberger en me disant que j’avais fait 6 km et qu’il m’en restait donc encore 36. C’est beaucoup 36 km en fait. On n’est jamais sûr qu’on puisse le faire jusqu’à ce qu’on l’ait réellement réalisé. D’autant plus que je ne m’entraîne jamais à faire des sorties longues sur route, encore plus après avoir fait du vélo. Au mieux, je pars faire quelques kilomètres en différé, sinon des sorties trails (qui ressemblent souvent à des rando-escalades) totalement déconnectées des deux autres disciplines. Sur ce point, je pense que j’ai à adapter mon entraînement, un peu plus de route, un peu plus d’enchaînements, un peu plus de distance.
Tout comme pour le vélo, mon approche est radicale et j’avais décidé de courir avec une paire de Adidas Adios, les plus légères de chez Adidas (non sponsorisé), celles des Kenyans de 14 kilos. La légèreté représentant un gain de temps en course à pied, je savais que l’option était risquée vis-à-vis d’une blessure ou tout simplement d’un manque d’amorti au fil des kilomètres qui engendrerait douleurs musculaires et tendineuses, voire squelettiques. Et en effet, c’est ce qui s’est passé progressivement. Ma foulée peut être améliorée mais elle est déjà plutôt propre, cependant ce manque d’amorti additionné au manque d’entraînement sur ce terrain et dans ces conditions spécifiques m’aura petit à petit raidi des jambes au dos en passant par le bassin. Donc la prochaine fois, ce sera soit des chaussures avec plus d’amorti, soit un entraînement adapté.
Petite digression sur le dos : après l’Alpe d’Huez, je suis allé voir un ostéopathe-étiopathe qui a trouvé que le bassin était peu mobile. En fait, lors de la préparation à l’Alpe pendant mes trails dans la montagne, un jour je me suis bien vautré la tête la première en essayant de franchir une rivière (les copains qui étaient sur place à ce moment-là auront pu apprécier ma lèvre ouverte et le sex-appeal que je dégageais alors à la manière de Double-Face). Sur le coup, j’étais un peu fracassé mais j’ai poursuivi mon entraînement normalement. Ce mal au bas du dos pendant toute la montée de l’Alpe d’Huez lors du triathlon et la sensation de ne pas avoir de force dans la jambe gauche était visiblement une conséquence de cette chute. L3 en flexion et en rotation selon l’ostéo (cela m’était arrivé début 2015 après une chute, ce doit être mon talon d’Achille) avec pour conséquence des douleurs dans tout le dos, et notamment au niveau des lombaires et une faible mobilité du bassin. Dans mon cas, cela se traduit par exemple en course à pied par l’intérieur de mes talons qui viennent frotter l’intérieur des mollets. Bref, il y a clairement du mieux mais il va falloir y retourner puisque j’étais relativement raide du dos les jours avant la course, pendant la course et encore quand j’écris ces lignes.
Après le premier tour, une autre douleur plus inquiétante vient pointer le bout de son nez, voire même déboule avec ses gros sabots. Au genou droit, au niveau de l’intérieur en haut de la rotule. Je la connais et son origine est bien liée au problème évoqué auparavant. Depuis quelques kilomètres déjà, j’essaie de retrouver l’état neutre, l’état zéro. Mais c’est moins évident qu’en vélo où il est facile de « fuir » l’agitation. Alors je doute sur ma capacité à parcourir tous ces kilomètres à une allure correcte, sans jamais penser à l’abandon pourtant. Puis je passe dans une sorte de mode automatique où tout le négatif ne m’atteindra plus vraiment. Je me souviens avoir découpé le parcours dans ma tête : d’abord il reste 2 boucles, ensuite sur chaque boucle on a la digue du plan d’eau, l’approche vers la côte Chamois, la côte, le village, la redescente sous le roc, le long passage sous le roc, la longue ligne droite de la Durance, le retour au plan d’eau et le passage sur la ligne d’arrivée. A chacun de ces tronçons, il y avait plusieurs points positifs : le public et ses nuances, le changement d’allure, des belles vues, l’occasion de croiser d’autres concurrents et d’encourager les têtes connues et inconnues, le relâchement en descente, etc. J’ai repensé aussi à la théorie du gouverneur central, au quotient émotionnel et aux ondes alpha. Le résultat n’est pas exceptionnel mais je ne l’avais jamais vraiment fait avant et le cerveau mérite lui aussi d’être entraîné. Nos limites sont avant tout celles que nous nous imposons. Encore une bonne piste de travail pour la saison prochaine.
Pour revenir à la course, je pense à bien m’hydrater et à écraser les éponges au-dessus de ma tête à tous les ravitaillements. L’expérience du Salagou (chaleur, soleil, pas de casquette, manque d’hydratation et de refroidissement) m’aura servi de leçon. A chaque fois, je bois un peu d’eau, un peu de coca, impossible de savoir la quantité totale bue sur le marathon, en revanche j’ai dû avaler 3 gels je crois. Comme pour le vélo, je n’ai pas porté grande attention à la fréquence cardiaque. Au final, ça donnera 143 bpm de moyenne pour le vélo ET pour le marathon, cocasse. Dans le second tour, je retrouve mon copain de l’Izoard, Sam Clark qui m’a rattrapé mais qui craque ensuite à son tour. C’est aussi ce qui fait la beauté de ces épreuves : « la glorieuse incertitude du sport ».
15h30. Dernier passage dans la rue piétonne, j’harangue les spectateurs et le premier bar à droite exulte comme si Zidane venait de marquer un but. La chair de poule. Le sourire ne me quittera alors plus jusqu’à la ligne d’arrivée. Je retrouve à nouveau les encouragements de Monsieur Fred Belaubre qui me donnent encore plus la banane. Et finalement le tapis bleu de la magique finish line. Je fais des signes au public et l’ambiance monte encore. Le regard de la foule, la grosse ambiance, le speaker, mes parents, la satisfaction d’être allé au bout, d’avoir vécu une journée d’enfer, difficile d’en décrire les couleurs à travers un ordinateur. C’est à vivre, tout simplement. Avec le cœur et la raison. Et le courage.
Epilogue
Je crois que j’ai réussi ma course. A nouveau aucun problème digestif contrairement à mes débuts en triathlon. Je suis fier de ne pas m’être effondré et d’avoir fait ce que l’on appelle une course plus ou moins pleine. La maîtrise d’une distance n’est jamais pleinement acquise et l’apprentissage sans fin mais il y a des paliers de niveau. Sur la distance demi-Ironman, je suis plutôt à l’aise. Sur Ironman, je me rends compte d’une certaine aisance également. A moi de faire en sorte d’y être le plus confortablement installé. Mathématiquement parlant, à Nice il y a 2 ans, je mettais 18% de temps de plus que le vainqueur Boris Stein, à Embrun je mets 9% de plus que Marcel Zamora.
A propos de l’organisation et des critiques ou comparaisons qui sont régulièrement faites entre épreuves indépendantes et épreuves franchisées par exemple, je tournerais les choses de manière bienveillante en considérant qu’elle a une certaine marge de progression. Comme nous tous.
La réussite tient aussi dans ce multi-partage pendant toute la course, avec mes parents d’abord, avec le public, avec des copains. Ce sont des moments très intenses lorsque de telles énergies circulent dans les deux sens.
Je félicite aussi tous les autres athlètes, tous ceux qui m’inspirent, ceux qui ont fini devant moi et qui sont meilleurs, ceux qui n’ont pas pu terminer ou même prendre le départ et qui reviendront, les concurrents de la dernière heure de course que je suis allé applaudir comme chaque fois, les bénévoles adorables avec nous et qui sont la fortune et la prospérité de cette organisation Embrunman.
Les liens Strava pour les fans de chiffres et de KOM :
Natation : https://www.strava.com/activities/1135051127
Vélo : https://www.strava.com/activities/1135043053
Course à pied : https://www.strava.com/activities/1135051360
A présent, depuis le soir de la course plus précisément, c’est le petit blues classique post-Ironman. Tout paraît un peu fade quand le corps et l’esprit ont été soumis à de tels stimuli pendant une journée et pendant les semaines de préparation. Cependant, la saison est loin d’être terminée et de nouveaux objectifs vont apparaître. J’aimerais notamment courir de nouveau un Ironman en fin de saison pour « jouer » un peu plus pendant la course mais cela nécessiterait un déplacement coûteux à l’étranger puisque dans nos contrées les derniers Ironmans sont à peine dans un mois. Il faut aussi penser à la préparation hivernale. Où, quand, quoi, comment ? Et puis au programme de la saison prochaine et à son articulation avec celui de la suivante sachant qu’il faudrait commencer à récolter des points dès août 2018 pour tenter de se qualifier au Championnat du Monde IRONMAN 70.3 qui se tiendra à la maison, à Nice en 2019, sur un parcours qui pourrait bien être sélectif.
A tous ceux qui, de prêt ou de loin, croient en moi, m’aident, me soutiennent et vibrent autant que je vibre, je vous dis merci du fond du cœur. Ces 10h38 de course et ces trois années de passion vous sont modestement dédicacées.
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