DEBRIEF – IRONMAN BARCELONA 2016

Ce qui va suivre pourra faire sourire ou amuser les non-initiés et risque de diviser parmi les triathlètes, notamment les très compétitifs et ceux qui « font » le triathlon. Il s’agit de mon sentiment et de mon analyse à ce jour, en soulevant des questions auxquelles je n’ai pas forcément les réponses (peut-être que personne ne les possède parfois), avec ma toute petite expérience, mon regard presque extérieur au tri tant je ne viens pas de ce milieu. A la base, ma famille n’est pas sportive, je n’ai pas grandi dans ce milieu et je n’avais jamais été compétiteur jusqu’à l’an dernier. Pourtant j’ai toujours adoré le sport, il m’a apporté certaines de mes plus belles émotions, que ce soit par exemple au Mondial 98, au Tour de France, aux JO et par ma pratique solo du cyclisme et de la course à pied depuis l’âge de 15 ans notamment dans mon « païs » que j’aime tant, la Provence profonde. Au point d’en faire le sujet central du mémoire d’un de mes deux masters d’économie «Ebauche et débauche de la pensée économique moderne du sport». Ce que je ne savais pas encore, c’est à quel point j’allais aimer le triathlon : l’entraînement, l’ambiance, la folie de la course, etc, j’y reviendrai. Bref, tout cela pour dire que mon regard sur ce milieu est peut-être moins prismé, ou différemment prismé, que ceux qui ont grandi avec des parents sportifs et qui pratiquent depuis tout petit. Intellectualiser le sport, c’est aussi ma façon de le vivre.

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Enfin, le récit est souvent volontairement à la première personne, cela me permet de faire le point avec moi-même mais également de mettre à même le lecteur de s’introduire dans ce fragment de vie qui se dévoile à lui afin d’établir une connexion et s’y identifier.

L’art de teaser…

VENDREDI

Arrivé à Calella vendredi en fin d’aprèm, la ville est déjà envahie de triathlètes (on est 2800 inscrits) et de leurs accompagnateurs. C’est toujours excitant et déconcertant de voir du triathlon à chaque coin de rue. Je me rends à mon hôtel et je découvre tout ce que je n’aime pas : à savoir une usine (3 étoiles, mais je ne pense pas que l’on peut comparer à la France) de plus de 200 chambres, bruyante au possible et au petit déjeuner de qualité très moyenne. A l’image de toute cette côte dont l’économie tourne autour du tourisme de masse, c’est laid et ça fait vraiment hangar à bétail. La ville en elle-même n’est pas mieux, j’étais assez triste et déçu de constater à quel point les Espagnols ont pu massacrer irréversiblement cette partie de leur littoral dont on parvient parfois à deviner la beauté passée. Enfin, ça reste agréable d’être « à la mer » et relativement au chaud.

Calella

Je pars reconnaître un bout du parcours vélo (notamment le début et la fin dont une partie à interdiction d’être sur les prolongateurs…) et je me rends compte que ce n’est absolument pas plat comme on me l’a annoncé, en fait il s’agit de petits coups de culs successifs, surtout au début et à la fin, puis un long faux plat et, c’est vrai, du plat entrecoupés de dizaines de ronds-points (donc pas mal de relances). Voilà, donc un parcours plutôt en prise, et ce sera d’autant plus le cas deux jours plus tard pendant la course avec le vent qui viendra fatiguer un peu plus les organismes.

Je me rends ensuite au buffet de bienvenue organisé par IRONMAN, l’occasion de signer la feuille de présence des pros après avoir raté le briefing des pros (on ne change pas les bonnes habitudes d’étudiant) et de manger un repas de piètre qualité (franchement celui de l’Ironman de Nice 2015 était largement au-dessus).

SAMEDI

C’est la veille, le jour où normalement c’est pas très clair dans ma tête, surtout pour une distance Iron, mais là ça va plutôt. Dépôt du vélo et des sacs de transition en début de soirée, dans les derniers pour rester un peu au calme du pic de triathlètes dans le parc quelques heures avant. Au calme ne veut pas dire sans émotions parce qu’à ce moment je commence à être ému (l’ambiance du soleil couchant sur la plage) et je mesure la chance que j’ai de faire partie de cet événement. Je me souviens bien de pourquoi je suis venu ici : rechercher l’amusement, des bonnes sensations, enfin ce pourquoi j’ai commencé l’aventure Ironman et donc le tri l’an dernier, à la base sans aucune prétention de performance ou d’en faire mon métier, juste avec les étoiles dans les yeux à l’idée de participer au voyage de plusieurs mois (la préparation) et à une journée intense comme jamais. Et pourquoi pas trouver plus encore… Je sens bien que cela peut paraître curieux au mieux, pas crédible au pire, d’être dans l’état d’esprit « je veux gagner ma vie en déconnant » pour caricaturer. Je ne sais pas si c’est issu d’une culture chrétienne où il faudrait avant tout souffrir (et montrer cette souffrance), être le Martyr, pour « mériter » quelque chose, ou si c’est lié à un système économique qui voudrait faire de nous des esclaves modernes (suivez mon regard…). Pourtant j’ai toujours fonctionné sur le principe « j’ai envie donc je fais avec plaisir donc le résultat suit ». Voilà, je crois qu’il faut respecter la manière de fonctionner de chacun, cela n’empêche pas d’évoluer. Il y a des exemples qui me viennent en tête comme Kilian Jornet. Ces mecs s’amusent tout simplement. Cela ne les empêche pas d’être sérieux, mais encore une fois sans se prendre au sérieux. Au final, tout le monde est gagnant avec eux ; sponsors, club, équipe. Plutôt que d’établir une hiérarchie où l’athlète est toujours soumis aux intérêts des uns et des autres, il serait sûrement plus intéressant de proposer des moyens et services aux athlètes qui ont besoin de moins de contraintes (pour faire une analogie, certains élèves ont besoin d’être très cadrés et d’aller en classes préparatoires aux grandes écoles par exemple, d’autres préfèrent l’autonomie de l’université). Je prends mon cas précis par exemple : en ne me proposant rien (ou ne répondant pas à mes demandes), que retire de positif une marque de vélo ? Nada. En proposant un contrat à l’uberbiker que je suis, que risque-t-elle ? D’investir sur un mec qui peut potentiellement bien figurer en le mettant dans les conditions psychologiques qui lui correspondent et qui lui rapportera plus que rien ?

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Bref, un court footing à 14-15 km/h pour rentrer à l’hôtel et se rendre compte que la foulée est sympa et que je prends du plaisir à faire ces deux kilomètres. Le soir, la quasi traditionnelle pizz’, je trouve une super adresse (Pizzeria Don Carlo) et je me couche heureux de m’être régalé, plutôt détendu et hâte d’être au lendemain matin.

DIMANCHE

Jour de course. Réveil avant le réveil. J’avais prévu large, je serai très large mais un peu fatigué. Direction la salle de repas de l’hôtel composée uniquement de triathlètes à cette heure si matinale, certains rigolent et se charrient, d’autres ont le visage plus fermé. Je croise un mec qui prend son petit déjeuner en ayant déjà enfilé sa combi de natation à 2h30 du départ et ça me fait sourire (bon, certains ont sur eux leur trifonction et autres tissus de compression depuis 48 heures.

Je pars de l’hôtel serein et trottine les deux kilomètres pour rejoindre le parc à vélo et le départ. Il fait encore un peu nuit et c’est le moment où je monte à chaque fois d’un coup en pression en voyant ces centaines, ces milliers de triathlètes rejoindre le départ assez silencieusement, dans une sorte de procession religieuse, on ressent vraiment quelque chose de fort dans l’atmosphère à ce moment-là, les expressions des visages, les familles et amis en soutien. Pas seulement lorsqu’on est athlète, à l’époque ça le faisait déjà quand j’assistais à l’IRONMAN de Nice.

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Arrivé dans le parc à vélo, on est forcément un peu plus observé dans le coin des pros (près du public en plus), ça fait bizarre, en même temps je me dis que ça fait plaisir aux spectateurs d’assister à la préparation. Ca met tout de même un peu de pression supplémentaire même s’il faut le prendre comme de la pression positive. Bas Diederen est à côté de moi, c’est quand même un beau bébé, je sais que c’est une référence mondiale et pourtant il paraît solitaire et banal à faire sa petite préparation. Je demande au dossard n°1, Patrik Nilsson qui allait être le futur vainqueur, si la combinaison de natation est permise pour les pros et il me répond par la négative. J’aurais pu être vraiment déçu et encore plus anxieux de nager pour la première fois en tri sans combi mais je sais que je suis venu pour tester plein de choses sur cet Ironman dans une perspective plus lointaine… Pour un non-nageur comme moi, nager en combinaison est assez avantageux, ce qui est moins le cas pour les meilleurs nageurs. En somme : quand la combi est autorisée, l’écart entre les moins bons et les meilleurs nageurs se réduit. La veille, la mer était à 22,9°C. Avec l’orage de la nuit, elle doit flirter avec les 22°C, mais la règle pour les pros est « à partir de 22°C, combi interdite ». Pour les amateurs, c’est 24,5°C il me semble. Tout de même, il est autorisé une petite combi fine sans manches et qui s’arrête aux genoux, la plupart l’ont enfilé, ça aide un peu dans l’eau mais je n’en ai pas…

Je rejoins l’arche de départ sur la plage en me faufilant au milieu de la masse des triathlètes et je me place au fond de la classe, les pros autour de moi qui se sont échauffés dans la mer semblent transis de froid et tremblent de tout leur corps pendant près de 20 min (là tu te dis que c’est n’importe quoi), d’autant plus qu’un problème avec le système de chronométrage a retardé le départ. Me connaissant, je suis « content » de ne pas m’être mouillé avant le départ. Ça fait vraiment pitié à voir tous ces athlètes si forts qui semblent vraiment mal à ce moment-là. Il faut vraiment revoir cette règle de la température de l’eau. On parle d’athlètes dont le taux de masse grasse est proche des 5-6% et qui vont passer une heure dans une eau pas si chaude ! Pourquoi nager sans combi ?
Pendant toute l’attente, on nous passe des musiques façon opéra ou encore moments épiques/dramatiques des films. J’y fais pas trop attention mais ça fait quand même monter en pression. Déjà qu’à ce moment-là, je suis très ému de courir pour la seconde fois un Ironman…

8h15. Bwoooooooou (c’est le bruit de la corne de brume ;-)) ! Ça part à fond déjà, il y a un peu de vagues et l’entrée dans l’eau se fait à la bourrin, je trouve que l’eau est plutôt bonne en fait et ça me rassure, je nage à côté de quelques mecs les 200 premiers mètres et je me dis qu’on va former un groupe de copains qui rejoindra la plage dans un chrono dans trop dégueu. FAUX ! A la première bouée des 300 mètres, je suis déjà tout seul, mais tout seul derrière. Mais je suis plutôt content d’être là, dans la course. Au bout de 500 m, je me fais rejoindre par un groupe de 3 (du coup j’étais pas dernier en fait) et je me dis que je vais nager avec eux, au début sur le côté puis ensuite dans les pieds. Mais ils ne nagent pas près des bouées (plutôt en décalé sur le côté). Je n’arrête pas de toucher les pieds du mec de devant et je me dis que ça doit l’embêter et qu’il faut que j’arrête ça, mais quand je me décale sur le côté je sens bien que c’est moins facile que nager dans ses pieds. Du coup j’essaie de nager dans ses pieds mais je ne peux pas trop allonger les bras, je fais des mini coups de bras, ça paraît trop facile et ça m’énerve que ça n’aille pas plus vite, d’autant plus que sans combi, tout ce qui est en dessous du bassin (où se concentre 99,8% du poids de mon corps coule si je ne mets pas beaucoup de battements de jambes. Je me remets finalement sur le côté pour ne pas culpabiliser de toucher des pieds. Les 3-4 premières femmes pros parties 1 minute après les hommes pros nous doublent dans un vacarme nettement audible dans l’eau, impressionnant comme elles battent fort des jambes ! J’essaie d’accrocher directement mais impossible, ça va vraiment trop vite, ensuite une autre fille passe isolée et idem, presque impossible d’accrocher, je suis un peu trop loin de ses pieds et je commence à être dans le rouge à essayer de faire la jonction. Je me dis que c’est quand même terrible ça. Puis je retourne avec mon groupe, on est plus au calme là.

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Au niveau du demi-tour (2 km), je regarde ma montre et me dis qu’à ce rythme, on va sortir en moins d’1h10, peut-être 1h08, c’est pas ouf mais ça me fait plaisir, surtout sans combi (je me dis que devant ça doit pas nager si vite sans la combi, en fait je me trompe). Une pro nous double encore alors que mon groupe est un peu loin de la bouée du demi-tour, je me dis que je vais essayer de la rejoindre et puis comme ça je prends le virage à la corde. ERREUR. J’aurais mieux fait de rester avec mon groupe parce que non seulement avec les petites vagues je perds la fille mais aussi mon petit groupe ! Je me retrouve un peu déboussolé au milieu de la mer en me rendant compte de cette bêtise. Au final, mon ex-groupe sortira en 1h11 (1h16 pour moi). Puis je me dis encore que je suis venu pour tenter notamment ce genre de choses et voir ce que ça donnait. Maintenant j’ai compris. Dans le même temps, les premiers amateurs partis 5 minutes après nous commencent à me rejoindre et je me dis que c’est pas trop mal encore au niveau du chrono de se faire reprendre seulement à ce moment-là. Je tente même pas une accélération pour chopper des pieds, ce sont des hors-bords qui doublent là.

Je nage ensuite terriblement mal pendant les 2 km qu’il reste en me faisant doubler par une partie des amateurs bons en natation, je ne peux rien faire et je m’enferme encore plus dans un mauvais état d’esprit. Me sentir nul, ça me fait encore plus mal nager. En plus, je commence à avoir des crampes-éclairs aux mollets, sûrement dues à l’absence de combi qui m’oblige à battre des jambes et à une certaine crispation de ce moment difficile. Ma trifonction commence à me brûler l’épaule droite avec l’eau salée, et je commence à avoir froid. Au bout d’1h16, je finis par toucher le rivage et je m’écroule instantanément puisque mes mollets crampent, je me relève et cours vers la zone de transition. Je prends un peu trop mon temps comme si instinctivement j’avais besoin de plus de temps mentalement pour repartir sur une autre épreuve. Je sprinte pieds nus sur le tapis de la tente puis sur la pelouse synthétique du parc, j’adore ça et je suis de nouveau content. J’arrive au niveau des vélos des pros et il ne reste plus que le mien, je commence à avoir l’habitude mais c’est quand même la tristesse. Allez, on monte sur le vélo et on verra bien ce que ça donne, j’ai plein de choses à tester sur le vélo en plus.

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C’est un peu le dawa les 3 premiers kilomètres dans Calella au milieu des amateurs puis c’est enfin parti sur les larges routes de la côte pour le show ! 45-50 km/h, c’est grisant, en position aéro je passe les coups de culs avec des différences d’allures impressionnantes par rapport à ceux que je double. Les spectateurs semblent apprécier mais c’est un peu trompeur pour moi parce qu’en réalité ça roule aussi fort devant et j’aurais tendance à lever un peu le pied en me disant que je vais assez vite comme ça puisque je double si facilement.

Au premier demi-tour, je croise les 3 premiers qui me paraissent rouler à une allure folle ! Je fais un pointage ensuite et l’écart est de 30 min, j’ai perdu du temps par rapport à la sortie de l’eau alors que je roule bien là quand même. Ça me met un coup mais je me dis qu’il y a une chance pour qu’ils tentent une mission suicide et qu’ils se calment ensuite (ce sera à moitié le cas : ils feront un vélo colossal, mais s’écrouleront ensuite au marathon, j’aime cette stratégie, parfois ça passe). Je croise le groupe des poursuivants qui roule beaucoup plus sagement. C’est pas roue dans roue mais ça roule pas toujours à 12 m les uns des autres non plus (pour les non-initiés, la règle est que la distance minimale sur les courses IRONMAN est de 12 m entre chaque vélo pour éviter la prise d’aspiration, ou drafting, et rester dans un effort solitaire sur le vélo)…

Après avoir doublé la plupart des amateurs, je me retrouve un peu seul au monde au bout de 70-80 kilomètres de vélo. J’ai déjà repris quelques pros et je continue à en reprendre.

A l’entame de la seconde boucle, c’est juste une des meilleures ambiances que j’ai connues dans les quelques centaines de mètres avant et après le rond-point dans la petite côte. C’était dingue tout ce monde survolté, j’en ai eu la chair de poule et quand je parle de connexion, d’interaction, c’est exactement cela à quoi je pense : j’essaie de faire mon bout de chemin dans le tri pour faire de cette passion mon métier, c’est avant tout pour moi que je le fais, mais j’avais bien compris à l’époque où j’étais spectateur d’IRONMAN Nice que c’était aussi un moyen de faire plaisir aux autres, d’apporter plus que la simple vue d’un mec en tenue moulante. Du coup, c’est une motivation supplémentaire d’aimer ce que je fais et de vouloir aller au bout, pas seulement de se savoir supporté, à distance, sur FB, sur STRAVA, sur le live d’IRONMAN, sur place par les spectateurs ou les bénévoles, mais aussi de se rendre compte qu’il se passe bien quelque chose de positif chez l’autre.
Bref, du coup je mets le paquet, dans ces moments on est tellement porté que les jambes tournent toutes seules, et ça chauffe encore plus la foule, trop bien ! Je double un pro canadien, Sacha Cavelier, que je félicite pour ses articles de qualité sur Trimes, c’est aussi ça ma façon de pratiquer le sport.

Je pensais rouler seul mais je me rends compte que j’emmène tout un tas de types dans ma roue depuis 20-30 kilomètres peut-être. Ce sont presque tous les mecs que j’avais doublé dans le milieu-fin de la première boucle. Au début, ça me fait rire, je me dis que c’est cocasse comme situation. Puis un peu plus loin ça commence à m’agacer et je fais une petite sortie de route dans un rond-point (je prends une mauvaise sortie). Je rejoins le groupe et je reprends la tête parce que de toute façon je suis plus fort alors j’essaie de ne pas trop me préoccuper de ces mecs (qui sont de plus en plus nombreux au fur et à mesure qu’on reprend du monde, amateurs ET pros) et je fais mon bout de chemin. Entre temps, je me pisse dessus deux fois dans des « descentes », et oui c’est aussi ça le triathlon longue distance. Malheureusement, à part moi, personne derrière n’en a reçu.

On (JE !) double la première femme au km 120, elle envoyait le bois, c’était hallucinant, elle gagnera finalement. On croise des tas de peloton, c’est vraiment terrible cette course, ça drafte à tout va. Parfois, pendant des centaines de mètres, il n’y avait pas un espace de 5 mètres entre les groupes eux-mêmes très compacts. Et après ça va se gargariser d’avoir mis moins de 5h sur le vélo…

Je commence à avoir les fessiers qui tirent un peu, je fais quelques étirements et change un peu de position ; en danseuse ou au fond de la selle. Une arbitre nous suit pendant presque toute la seconde moitié du vélo mais ne sanctionne pas a priori, au pire j’entends parfois sa voix ou un sifflet derrière moi parce que ça doit un peu trop me suivre de près… Les 40 derniers kilomètres approchent et je sais que, vent de face, ça va être compliqué de pas être embêté par le groupe qui aura bien profité pendant des dizaines de kilomètres.

Au final, j’aurai fait environ 120 km tout seul, et 60 plus compliqués avec sans cesse des bons cyclistes du groupe qui passaient devant moi parce que se sentant menacés par une éventuelle sanction de l’arbitre. Du coup, il fallait que je fasse l’effort de les repasser parce qu’il était hors de question de trop longtemps rester dans le groupe qui ne roulait pas si bien lorsque ce n’était pas moi qui prenait les commandes. Coincé dans la matrice. Il aurait vraiment fallu faire un gros effort pour sortir tout le monde de ma roue, et encore ils auraient été capables de revenir en prenant des relais derrière moi ! Bon, on rattrapait encore des gars, donc j’essayais de me concentrer sur ça parce que c’est ce qui comptait pour moi avant tout : remonter le plus possible.

Le retour vent de face a donc été un peu compliqué parce que certains mecs voulaient sans cesse passer devant (forcément ils avaient une certaine fraîcheur après avoir sucé ma roue et l’envie de gagner encore plus de temps) donc il a fallu rapidement reprendre les choses en main parce que j’étais venu pour faire une course solo, à la régulière. Finalement il y avait deux, trois gars qui passaient de temps en temps en roulant correctement, et je n’avais plus qu’à me caler à une dizaine de mètres, derrière ça prenait pas un relais, au chaud, dont certains pros. J’éviterai de trop me prononcer sur la première femme parce que je ne regardais pas toujours en arrière (contrairement aux drafteurs qui ont ce TOC de regarder en arrière en permanence, faut consulter les gars) mais je sais qu’elle a été dans notre groupe les 60 derniers kilomètres alors que mon allure était supérieure à la sienne à la base. Je vous laisse interpréter…

Dans les derniers kilomètres, je me dis que les gars de mon groupe doivent être ravis de ma présence parce que sans moi, après avoir regardé les résultats, il n’y avait personne qui aurait pu les emmener à cette vitesse, ils ont probablement fait le « chrono » de leur vie là. C’est sûrement ce qu’ils raconteront à tout le monde, en se pavanant comme ce fut le cas lors de la cérémonie des récompenses. Pour exprimer ma pensée, je cite un philosophe contemporain : « Pourquoi être aussi corrompu ? Putain ! Education de merde ! Aucun honneur ! Aucune dignité ! Rien ! ». Que ce soit bien clair : le classement amateurs (groupes d’âge) ne veut absolument rien dire à Barcelone, les « meilleurs » qui terminent en moins de 9h, TOUS ont drafté. A partir de là, ça veut dire que leurs efforts à vélo ont été moindres et qu’ils ont pu enchaîner avec un marathon correct. D’ailleurs ça me fait rigoler de voir les prénoms de certains des mecs qui étaient dans mon groupe à vélo gagner leur GA. STRAVA est assez édifiant pour ça puisqu’on y retrouve des valeurs de puissance anormalement basses chez des mecs qui ont roulé 4h30-35, signe de drafting et pourquoi pas de moteur. Pour info, un des 3 mecs qui a roulé en 4h13 a développé 290W, avec une position sûrement excellente en plus. On est loin de certains gros chronos chez les amateurs à seulement 220W… Et dire qu’ils vont se retrouver à Hawaii en 2017…

A noter que dans les coups de culs, je distance le groupe sans effort particulier, ça fait plaisir de se rendre compte qu’on est fort dans ces moments-là.

Côté nutrition, j’aurais mangé 3-4 barres sur le vélo, avalé 3-4 gels aussi je dirais, et bu 2 gros litres de boisson isotonique. Je me suis senti vraiment bien sur le vélo, en gestion, jamais dans quelque chose de pénible, à part parfois mentalement quand la vitesse diminuait face au vent. Ca aura été plutôt agréable en moyenne, mais un peu long mentalement de rester concentré et agressif à partir du dernier tiers. J’avais vraiment hâte de commencer le marathon pour changer et trouver des sensations que j’aime tout aussi bien, ce qui est plutôt un bon point.

Dans les tous derniers kilomètres du vélo, je fais l’effort pour distancer le groupe et profiter de l’ambiance dans Calella. Les Catalans sont vraiment bons dans le domaine ! Du coup, je fais des gestes, des « ooooooléééééé », des sourires à la foule qui se chauffe encore plus. Le Russe qui a réussi à prendre ma roue rigole moins lui. Il a tout pour lui celui-là : il se prend au sérieux, il joue les premières places des drafteurs et il roule des mécaniques façon « je vous écrase tous ». Il manquerait plus qu’il fasse partie du pourcentage bien trop élevé des types qui se chargent et là c’est le titre de Mister Tri qui l’attend. Je pense qu’on en connaît tous des mecs comme ça.

Transition plutôt correcte avant de partir sur le marathon mais la première femme repasse devant moi pendant ce temps. Comme dit ma mère, les femmes ont un avantage aux transitions : elles savent faire plusieurs choses à la fois et sont organisées. Je pars vraiment bien, supers sensations, le bassin dirige bien le mouvement, je sens que ça flotte, la foulée est ample. Je rattrape la fille au bout d’un kilomètre et je cours à ce moment-là à 16-17 km/h, elle aussi court super vite. Puis je commence à rattraper un à un des pros, j’entends au bord de la route « You’re looking good/fresh », « Allez Monsieur » (lol), « Venga/Vamos » et toutes sortes d’encouragements dans toutes les langues possibles.

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Le parcours est constitué de 3 boucles et, bonne nouvelle, il y a bien 42 km (ce qui n’est pas toujours le cas avec IRONMAN, souvent il y a moins). Je passe le 5ème km en 19 min et le 10ème en 40 min vraiment en ne m’emballant pas, je me dis que ça va carrément le faire pour le marathon en moins de 3h, et possiblement bien mieux. Je fais un petit calcul et pense que moins de 9h c’est largement faisable, même 8h45. Le parcours est sympa, en partie sur la route et le chemin piéton du bord de mer puis un aller-retour terrible à l’atmosphère hostile du côté de Pineda de Mar en longeant le chemin de fer, les lignes électriques et les terrains vagues, sans abri, une ligne droite qui n’en finit plus. Je suppose que ça donne un avant-goût de ce à quoi ressemble Energy Lab à Hawaii. Mais ça allait encore bien à ce moment.

Puis, j’ai encore un peu de mal à l’expliquer, au bout d’une heure de course, à l’entame du second tour, je commence à tergiverser un peu. Il commence à y avoir beaucoup de triathlètes sur le parcours et ça contribue à mettre le bazar dans ma tête par rapport aux mecs que je rattrape. Je ne sais plus trop qui est qui, où j’en suis par rapport aux autres. Il faudra peut-être que je change de tactique dans ces cas-là pour rester motivé, et me concentrer sur le public, ou carrément mes propres sensations et mes allures sur ma montre. La première boucle était assez grisante à rattraper des mecs, les encourager, courir dans cette ambiance survoltée mais en même temps « reposante » parce qu’encore peu de triathlètes sur le marathon. Progressivement, je mets à penser à tout un tas de choses négatives. Cette chaleur humide (humidex>30), ce soleil qui me brûle, le vent fatigant, le corps qui devient de plus en plus raide.

La différence de sensations par rapport à l’heure précédente est frappante, j’essaie de ne pas me laisser enfermer dans ce mauvais état d’esprit et d’intégrer qu’on est sur Ironman, que c’est seulement mon second, que c’est carrément normal d’être mal pendant un long moment et qu’éventuellement au bout de quelques kilomètres ça va aller mieux. J’ai tellement lu d’expériences de courses de triathlètes, pros ou amateurs, de conseils, de stratégies à adopter que je pensais savoir à quoi m’attendre. D’autant plus que l’an dernier lors de mon premier Ironman à Nice, je suis passé par des états pas possibles comme beaucoup les connaissent sur le marathon, allant jusqu’à avoir des « absences ». Mais c’était mon premier et je voulais à tout prix le finir. Il faut croire que j’avais moins de volonté pour Barcelone.

A partir de ces moments de crispations, le physique a commencé à progressivement lâcher, j’ai d’abord senti que mon bassin était comme figé, avec une grosse tension dans l’aine et les psoas, puis des douleurs imperceptibles auparavant sont apparues comme la puce attachée à ma cheville qui me râpait la peau (alors que ça devait faire 7h que ça le faisait sans que je ne m’en rendre compte). Des problèmes gastriques ont commencé, je commençais de plus en plus à penser à de l’eau fraiche, du coca frais, à aller dormir à l’hôtel. Dans ces moments-là, c’est la torture de l’esprit, c’est le bordel dans la caboche.

Avant la course, je voulais finir quoi qu’il arrive, quitte à marcher, parce que je voulais aller au bout de l’expérience. J’y ai repensé mais sur le coup il était finalement hors de question de marcher (au final j’ai pas marché à part aux derniers ravitos vite fait histoire d’arrêter de m’étouffer avec les gobelets et de parvenir à les vider au moins à moitié dans ma bouche. Je pensais aussi à tous ceux qui suivaient le live ou qui m’avaient envoyé un petit mot avant la course. Mais sur le coup, j’aurais vraiment aimé retrouver quelqu’un que je connaissais au bord de la route pour me remettre en selle. A Nice, mes potos Flo, Simon et Quentin avaient été supers pour ça.

Bref, je me suis de plus en plus enfermé dans deux pensées : « Si je prends pas de plaisir, faut arrêter, cette distance n’est pas faite pour moi, c’est un truc de fadas, je suis bien mieux sur Half Ironman » et en même temps « Si j’abandonne, je suis bien nul ». Ceci alors que je me faisais encourager par un public au top, même les gens loin en terrasse dans les restos/bars donnaient plus que moi. C’était pas possible d’abandonner dans cette atmosphère, et pourtant on sera quelques pros à le faire. Avant le 20ème km, ma décision était déjà prise, mais, expérience oblige, je voulais quand même terminer le second tour pour profiter de ce qui se passait autour de moi et puis parce que l’hôtel était encore loin alors autant faire le trajet en trottinant à 10 km/h. Moment de honte en allant voir un arbitre pour lui dire que j’abandonne avec les spectateurs qui réalisent que c’est fini pour moi. Puis un retour à l’hôtel triste, déçu, un peu soulagé, en me disant que j’étais passé à côté de quelque chose et que je n’étais pas allé au bout de mon expérience.

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Mes données STRAVA :
– Nat : https://www.strava.com/activities/732328753
– Vélo : https://www.strava.com/activities/732329689
– CAP : https://www.strava.com/activities/732328921

EN CONCLUSION

  1. L’ambiance sur cette course est excellente (meilleure qu’en France je trouve, comme c’était le cas en Italie à Rimini), l’organisation générale aussi et les bénévoles nombreux et parfaits. C’est la marque IRONMAN diront certains. On se rend bien compte qu’on participe à un événement intense, fort et certaines courses peuvent paraître fades à côté ensuite. La bouffe est dégueu par contre et je me souviens que le buffet à Ironman Nice 2015 était bien meilleur avec un choix colossal de mets. Le drafting est omniprésent, même chez certains pros, c’est à vomir quand on a une certaine idée du triathlon et je ne retournerai sûrement pas sur cette course pas du tout régulière. En revanche, l’IRONMAN 70.3 Barcelone me tente beaucoup avec son parcours vélo plus pentu !
  2. J’étais venu pour tenter des choses, faire des tests. Certains ont été concluants, d’autres pas, pour ça je suis content, mais je ne suis pas allé au bout de l’expérience et c’est un point négatif en vue de l’an prochain (à la base, j’ai fait cet Ironman pour servir de base de connaissance pour la prochaine saison)
  3. En natation. Chez les tous meilleurs, ça a nagé tellement vite malgré l’absence de combi : 49 min sur quasi 4 km ! J’ai appris que nager en groupe, ça avantage beaucoup mais encore faut-il savoir le faire. Ensuite, il semble que mes temps en natation soient « miraculeux » (notamment sur Half-Ironman où je flirte avec les 30 min maintenant) compte tenu de mon volume d’entraînement proche du néant, de l’absence d’entraîneur au moins pour faire quelques sessions de technique et d’un crawl « appris » par moi-même il y a deux ans. Pour donner un exemple, la distance parcourue en natation dimanche (3950 m) est de loin la plus longue que j’ai faite cette année. Rien de réjouissant et pas très pro tout ça mais a priori, il semble que j’ai quelques facilités (IN-CRO-YA-BLE) en natation et que la marge de progression soit potentiellement grande. D’après certains, c’est mon moteur qui me sauve et probablement que ma technique est pourrie mais pas ultra pourrie. Depuis dimanche et les différents échanges avec d’autres triathlètes, je prends vraiment conscience qu’une fois la natation débloquée, le meilleur peut se produire. J’avais déjà fait part d’un projet qui nécessite une certaine somme d’argent pour cela à la FFTRI qui m’a dit d’aller voir le privé (partenaires privés et financement participatif). Le plan, c’est de toute façon de trouver un bon entraîneur, expérimenté si possible, qui puisse me mettre à niveau sur 10-20-30 sessions s’il faut, éventuellement avec caméra pour bien me rendre compte et ensuite d’aller nager régulièrement à la piscine pour conserver une sollicitation constante et s’améliorer en développant son économie de nage. Objectif : 1h sur Ironman.
  4. En vélo. Hormis les 3 uberbikers qui ont roulé (ensemble) 12 min plus vite que moi, ça tourne autour de mon temps chez les meilleurs à l’arrivée. Comme on me l’a fait remarquer, ces mecs ont des années d’expérience en tri et sur la distance Ironman en particulier, ainsi qu’une position aérodynamique mieux étudiée et un effet de groupe non négligeable. Donc bon point pour moi et une certaine marge de progression sûrement. Je voulais aussi me tester sur un parcours plutôt plat (700 m de D+) parce que je me doutais que j’étais polyvalent et pas seulement taillé pour la montagne comme on me le dit trop souvent. Le test est concluant ; je roule comme les golgoths. Ensuite, j’ai remarqué que rouler à vélo dans le rythme des autres (à une dizaine de mètres) est plutôt facile mentalement mais pas forcément agréable pour celui qui, comme moi, aime faire sa course et pas celle des autres. Je ne possède pas de roue pleine alors que la plupart en avait, quel aurait été le gain ?
  5. A pied. C’était tellement bien parti que j’en reviens toujours pas de ce qui s’est produit ensuite. C’est bien, ça rend encore plus humble face à ce sport et cette distance en particulier. Pourtant, j’ai bien senti la différence avec l’Ironman de Nice où j’étais planté dès les premiers mètres du marathon. Dimanche, j’étais aérien et plutôt frais. Le lendemain de la course, je n’avais pas de douleurs. Comme d’habitude. Aussi, j’ai du mal à imaginer que la défaillance soit physique en premier. Il est bien possible que c’est la tête qui ait lâché. Trop de pression financière ? Mauvais état mental et manque de confiance depuis quelques mois ? Sur cette distance en particulier, on arrive avec une certaine quantité d’énergie physique ET mentale. Si la batterie mentale n’est pas chargée comme il faut, son autonomie sera inférieure à la durée de la course.
  6. Cet Ironman devait servir à apprendre en vue de l’Embrunman l’an prochain et éventuellement deux autres triathlons XXL. Dimanche soir, je me disais que j’allais rester sur les formats moins longs par rapport à la natation où j’ai pris tellement cher (50% du temps des premiers) et au marathon que je n’ai pas réussi à passer. Bon, là l’envie revient un peu, mais très craintive quand même. Quoiqu’il en soit, je pense aussi que même si le physique a bien tenu malgré (grâce à ?) mes entraînements « originaux » et une prépa d’à peine 4 semaines (ça aussi j’étais curieux de voir ce que ça allait donner), ça ne sera pas inutile la prochaine fois d’aller faire quelques sorties à vélo longues (4-6 heures) et quelques (pas beaucoup) entraînements à pied de 2h au moins à allure de course pour être plus à l’aise mentalement le jour de la course.
  7. Un point qui peut rejoindre le projet natation : la conjoncture triathlétique (politique fédérale, mentalité, modèle économique) en France métropolitaine ne me semble vraiment pas favorable, confirmée également par des étrangers. Aussi émigrer, ne serait-ce que provisoirement, est peut-être un début de solution, mais où ?
  8. Le niveau était juste hallucinant dimanche ! Natation ultra rapide, vélo à plus de 40 km/h, des marathons en 2h41-42. Avec des conditions de course, notamment sur le marathon, pas si favorables. Quand on connaît un peu qui est le second de la course et qu’a priori c’est son premier Ironman (à vérifier), on reste stupéfait, et l’adjectif n’est pas choisi au hasard… Et le vainqueur qui met à cette même personne 10 minutes. C’est dingue. Enfin, si les meilleurs sont tous aussi « naturels » que moi, alors c’est vraiment admirable d’être aussi fort ; ils élèvent leur sport au rang de l’art et ce sont des chefs d’œuvres qui se sont dressés sous nos yeux dimanche.

N’hésitez pas à me demander des explications si j’ai pas été très clair, à me poser des questions, à faire des remarques. On peut se parler de manière franche et directe.

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