HISTOIRE VRAIE

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Dimanche à l’arrivée des Championnats de France de triathlon sur lesquels j’ai été totalement transparent, pour la première fois je n’avais plus envie de faire du triathlon et de la compétition. Jusqu’à récemment, aussi difficiles et longues que puissent être les courses auxquelles j’ai pris part, aussitôt la ligne d’arrivée franchie et même si la flamme s’était consumée au cours de la course, elle se ravivait immédiatement. Des idées pour s’améliorer, des projections, des objectifs, des motivations nouvelles, etc.

Au départ de la course déjà, je ne ressentais rien contrairement au passé. Cette flamme et l’envie de se donner n’étaient déjà plus là. Pas d’excitation, pas de stress, pas d’euphorie. L’apathie. Je me savais également diminué physiquement avec des douleurs persistantes et handicapantes depuis des semaines au coude, au genou, au pied, au dos, à la nuque… Comme si tout s’effondrait par effet domino.

3100 mètres de natation en deux boucles. La première dans les 30 premières positions à une allure confortable. A la fin de cette boucle, je fais l’erreur de vouloir la jouer solo hors du groupe, pour aller plus vite et éventuellement rejoindre celui de devant. Une erreur à la limite de la pathologie dans mon cas, celle de vouloir toujours faire sa propre trace… Sur ce coup-ci, cela m’a coûté du temps, de l’énergie et l’envie de bien nager. 40ème à la sortie de l’eau (contre 300ème il y a 3 ans). Les parcours de vélo très « en prise », avec des petites côtes et des relances incessantes, sont mon truc d’habitude. Pas dimanche. Ma fréquence cardiaque était bien haute, mais je n’avais aucune puissance. Et ce n’est pas une intox d’athlète ; a minima 15% de puissance en moins qu’à l’entraînement. Ca se compte en nombreuses minutes à l’arrivée. D’expérience, une fréquence cardiaque haute associée à une faible puissance est l’expression d’un corps en souffrance. Comme s’il allouait une proportion non négligeable de son énergie à autre chose que l’activité en cours. Aucun plaisir pris pendant ces 2 longues heures. Au départ du semi-marathon, en 10ème position, le podium était déjà inaccessible mais j’étais curieux de la suite alors je suis parti sur les allures que je tenais encore il y a moins d’un an en compétition (16-17 km/h) mais rapidement il s’est produit plus ou moins la même chose que 10 jours avant lors de l’Embrunman : des jambes dures et un bassin figé. A nouveau la fréquence cardiaque haute pour une faible allure. Pas d’explications précises à ce jour. A 10-11 km/h, finir le premier tour, puis le second, éteint et sans trop savoir ce que je faisais là. Machinalement, parfois je remerciais les bénévoles et tapais dans les mains tendues des enfants, peut-être en espérant leur être utile, leur apporter un peu de joie et qu’ils se construisent une personnalité enthousiaste et bienveillante.

Les entraînements offraient de belles perspectives, je m’étais investi pour que cette saison soit une saison d’enfer. Au final, c’est une saison en enfer. Une première course à Cannes bien moyenne. Puis ma première vraie blessure. Devoir renoncer à un bon résultat sur l’Ironman de Lanzarote. Faire des croix sur une partie du calendrier en attendant la guérison. Essayer de revenir rapidement en quelques semaines mais comprendre qu’il faut plus de temps avec une biomécanique dégradée. Echouer sur les courses de reprise puis sur les gros objectifs.

Les années passent et de plus en plus de choses me pèsent. J’ai commencé le triathlon il y a 4 ans après être véritablement tombé amoureux de l’Ironman à Nice pendant mes études. Jamais rien auparavant ne m’avait autant fait vibrer et briller les yeux qu’assister à cette course chaque année. A l’époque, y participer n’était que du domaine de l’imaginaire et cela me suffisait. Puis, un jour d’hiver 2013, je me suis fracturé le bassin sur un rocher en ski freeride, mon autre passion sportive. A l’hôpital, j’avais eu comme un déclic et m’étais juré de faire l’Ironman de Nice. Et quand je dis faire, c’est bien faire. Pas être inscrit, pas être finisher, mais être dedans. L’esprit freeride. La compétition ne m’animait absolument pas.

Je ne viens pas d’un milieu sportif. Aucune personne de ma famille n’a de rapport avec le sport ou la compétition. J’ai toujours apprécié suivre le sport avec enthousiasme à la télé ou in situ mais ce n’est pas notre monde. Je faisais du vélo et trottinais parfois pendant mes 7 belles années d’étudiant, pour m’évader et voir du pays. C’est d’ailleurs sûrement ce qui m’a rassuré au moment de m’inscrire à l’Ironman même si je ne savais pas nager. C’est donc tout seul, le soir après le boulot que je me suis jeté à l’eau pour presque faire du surplace pendant des dizaines de minutes la tête hors de l’eau du côté de Bastia et de Saint-Florent. Maintenant que j’y repense, les gens sur la plage devaient me prendre pour un fou. Mais à l’époque, ça m’échappait totalement et j’avais une lumière intérieure éblouissante.  Je faisais mon truc, point. De la même manière, j’enchaînais avec du vélo et de la course à pied jusqu’au début de la nuit avec un enthousiasme et une euphorie qui me rend nostalgique aujourd’hui.

En 2015 donc, je découvrais le caractère officiel des épreuves et la compétition. J’avais été très positivement surpris lors de ma première course à Cannes ; l’ambiance, le déroulement des événements, les encouragements des autres participants et bien sûr mon expérience intérieure. Lors de la seconde course à l’Ironman 70.3 d’Aix, j’avais découvert un autre esprit que je n’appréciais pas de la part des concurrents autour de moi durant l’épreuve, je n’en garde d’ailleurs pas un bon souvenir. Pour autant, l’aspect compétitif, même si je commençais à le percevoir, était quasi inexistant pour moi. Cependant, à cette époque, mon boulot (agent de développement économique de la Corse) était nul. Et ce n’est pas trivial que d’affirmer cela. Il était nul au sens qu’il n’apportait rien de bon, de positif, à titre personnel et au titre de la collectivité. A mon sens, je servais même des intérêts qui étaient opposés à mes idées et à ce que j’estimais être vertueux pour le monde, ne serait-ce que pour l’île de beauté. Ma situation financière était pourtant confortable, ma jeune vie de salarié sur des rails pour construire une famille, un toit et tout ce qu’il y a de plus classique. L’élément déclencheur a été le jour où mon patron m’a dit que mon travail ne m’appartenait pas. A ce moment-là, mes pensées les plus solides me sont revenues en tête et notamment cette fameuse citation « être le changement que tu veux voir dans le monde ». A minima, faire quelque chose de positif pour soi plutôt que de négatif pour les autres, et en apprécier le résultat.

Scientifique de formation et rationnel de nature, j’ai fait quelques projections financières et puis j’ai quitté mon tripalium pour me lancer vraiment dans le triathlon à un moment où mes performances en compétition me faisaient rivaliser avec des grands noms nationaux et internationaux sur les parties vélo et course à pied alors que je n’avais que quelques mois de pratique quand eux avaient jusqu’à 30 ans d’expérience. A l’époque, j’étais une véritable éponge à informations et connaissances, je lisais tout, regardais tout, testais tout. Seulement, ce qui touchait à l’argent était compliqué à évaluer, peu d’information disponible et personne pour partager ses connaissances. J’avais en tête un modèle basé sur mes idéaux qui ne sont plus de ce monde : quelques performances, qui plus est de la part d’un athlète totalement hors circuit classique (donc avec une grande marge de progression potentielle), remarquées et/ou mises en valeur auprès de commanditaires et l’affaire était lancée. Seulement, très vite je me suis heurté à la réalité du métier et du milieu.

Je me suis rendu compte que mes projections financières étaient obsolètes. Et cela a complètement modifié mon état d’esprit à l’entraînement et en compétition. De plus, même si le triathlon est un sport individuel, j’ai découvert qu’il y avait un rapport permanent avec les autres, moi le loup solitaire. D’autant plus quand on est « professionnel ». Et inévitablement, j’ai retrouvé des comportements minables et des personnalités malveillantes que je connaissais déjà de mon ancien métier et qu’on retrouve partout. Jalousies, mépris, frustrations, manipulations, etc. Des mecs qui m’enfoncent la tête dans l’eau pour s’élever plus haut, d’autres qui me coupent les jambes pour que je reste à leur niveau, j’en connais quelques uns. Ce n’est pas mon attitude et ce n’est pas celle qui fera survivre l’humanité.

Des erreurs, j’en ai fait plein et continue d’en faire, pas seulement financièrement, mais tous les jours à l’entraînement, en compétition, parfois aussi dans mon rapport avec les autres il faut bien l’admettre. En général, j’arrive à m’en rendre compte par moi-même et c’est bien là l’idée : l’apprentissage par l’erreur. Celui qui croit tout connaître et savoir faire est un jeune (ou vieux) con. Encore une fois, cette manière de procéder, en autodidacte, « self-made », s’est déterminée par la force des choses, peut-être aussi par un peu de fierté paysanne familiale.

Depuis quelques temps, une dualité m’envahit. D’un côté, qui oserait faire ce que j’ai fait ? Quitter une certaine vie professionnelle et le salaire qui va avec, s’éloigner de ses super potes de prépa, éviter les copines, développer sa propre méthode d’entraînement, miser et investir à ce point sur soi-même, laisser de côté un certain confort… Des choix improbables au vu de mon éducation et de l’univers dans lequel j’ai baigné. Dans ma famille de classe moyenne voire carrément modeste, le graal était de devenir ingénieur puis de mener une vie rangée. Des choix qui n’ont pas forcément été compris, en famille mais également par tout un chacun. Il faut dire que je ne m’étais pas tellement justifié, j’avais ma flamme et c’était tout ce qui comptait. Puis petit à petit, j’ai découvert que certains interprétaient rapidement avec des raccourcis mal venus, qu’à l’instar du foot il y a 67 millions de sélectionneurs, tout un tas de gens qui croient mieux faire mais qui ne font pas. Détruire, c’est facile et rapide. Construire, c’est bien plus ardu.

De l’autre côté, cela fait maintenant 4 ans que j’y crois, que l’on me dit régulièrement de continuer, de m’accrocher, que ça va le faire, que c’est pour bientôt. Dimanche, j’ai eu la joie de croiser avant le départ un supporter de la première heure, Lolo, doublé en 2015 sur l’Extrememan de Narbonne. Ce jour-là, il avait été étonné de ma prestation en vélo et à pied et surtout du fait que je l’avais encouragé en le doublant, quelque chose de normal pour moi. C’est comme ça que je vis le rapport aux autres. Mais depuis j’ai largement pris conscience qu’ils sont nombreux (et notamment dans les premières places) à ne pas partager cela. Bref, dimanche Lolo m’a souhaité fortement de prendre du plaisir sachant que ce n’était pas le top à ce niveau en ce moment. Et donc je me demande comment j’ai pu en arriver là et si c’est récupérable. Est-ce uniquement la pression financière, le rapport aux autres et à la compétition ? D’autres éléments systémiques comme le modèle économique du triathlon, l’évolution de ce sport…? Est-il possible de retrouver le Romain des débuts ? Celui qui dégageait de l’extérieur comme de l’intérieur une impression de facilité tout en allant vite, en souriant, en remerciant les gens, et qui prenait un plaisir fou. Certains pensent qu’il faut tirer une tronche pas possible et ressentir une souffrance extrême pour se donner à fond. Peut-être que cela fonctionne chez certains, mais croyez-moi à 100% : pas chez moi. Les études sur le « flow » le confirment d’ailleurs : des grandes performances ont été réalisées avec la sensation d’être « facile », que les choses étaient naturelles et « sans effort ». Et c’est ce qui s’est à chaque fois passé pour moi lors de mes bons résultats. Certains m’ont amené à être au niveau de sacrées références mondiales. Depuis, je me suis installé près de piscines et je me suis mis à nager, a fortiori à progresser dans l’eau.

Cependant, les pensées parasites se sont multipliées au fil des années dans le même temps et les choses se sont dégradées à côté. Les performances en compétition ne sont même plus au niveau des entraînements que je réalise. Il y a quelques années, c’était le contraire : je me sublimais en compétition par rapport aux entraînements. Cette sensation était d’ailleurs extrêmement grisante et me poussait à m’inscrire à toutes les courses quitte à ne jamais les aborder à 100% de mes moyens.

En revanche, les moyens, je m’en suis donné quelques uns. Que ce soit en temps, en énergie, en argent. J’ai saisi les opportunités qui me paraissaient tenir la route. Je me suis formé, j’ai évolué et j’ai fait des choses à contre-nature comme la communication. La com, ça n’a jamais été et ne sera jamais mon truc. Je ne parle pas de la communication écrite ou orale pure, mais de la com moderne au sens des techniques médiatiques d’information et de publicité. Très proche du marketing. Des modules que j’avais toujours évités durant mon premier master d’économie. Mon obsession pour la vérité brute m’amène à avoir une aversion profonde envers cela. Je vous garantis que le monde se porterait tellement mieux si nous vivions en vérité. Même si cela peut parfois heurter ; « nul n’est plus détesté que celui qui dit la vérité ». Rappelez-vous tous ces gens qu’on a brûlé, décapité, etc, parce qu’ils disaient la vérité, apportaient des faits nouveaux, contraires à la doxa. Pour l’anecdote, je me souviens de ma première khôlle d’anglais il y a 12 ans : j’avais expliqué à la professeure pourquoi il n’était pas viable à long terme d’être si nombreux sur Terre, elle m’avait répondu que je ne pouvais pas dire cela et qu’elle était choquée, pourtant aujourd’hui on commence doucement à prendre conscience de cela…

Partant du zéro absolu, j’ai tout de même essayé de développer mon réseau, parfois maladroitement, mais toujours dans le respect de mes valeurs. Il n’était pas question de faire n’importe quoi à n’importe quel prix, de se « prostituer ». Souvent l’image d’un panier de crabes me revient quand je pense au milieu. Voilà pourquoi je ne joue pas à des jeux malsains. Et qu’alors je m’éloigne de certaines pratiques, de certaines personnes, parfois de ceux qui « pèsent », quitte à m’isoler. Malgré cela, je suis aujourd’hui suivi par des milliers de personnes. 1 000 sur Instagram, 2 000 sur Facebook et 14 000 sur Strava. Tout cela avec du vrai. En m’intéressant aux gens. En répondant pendant des heures aux questions, aux commentaires. Parce que j’aime fondamentalement les gens. Je n’utilise pas de robots (pour faire grimper en flèche mon nombre d’abonnés), je n’achète pas des packs de 1 000, 5 000, 10 000 faux abonnés, etc, je n’utilise pas de techniques abusives ou du spam.

A un moment, j’ai pensé que la réussite était d’être apprécié de tous. Parce que c’est l’illusion qu’on nous donne aujourd’hui, d’autant plus sur les réseaux sociaux et dans les médias de manière générale. Cela correspond au moment où ma flamme partait dans toutes les directions. Puis cet hiver, mon père m’a rappelé une fable de La Fontaine, Le Meunier, son fils et l’âne, dont la morale est qu’à vouloir satisfaire tout le monde, on ne contente personne. Dit de manière plus dure par Sacha Guitry : plaire à tout le monde, c’est plaire à n’importe qui.

Je dis souvent que je suis une mini-entreprise à moi seul. Une entreprise certes en mauvaise santé, mais une entreprise dans laquelle je gère tous les aspects de A à Z. Pas de copine pour faire ma com ou ma logistique, pas d’ami manager, pas de sponsors, pas de team, pas de club, pas d’équipe médicale (lorsque je dois consulter pour une chute ou des douleurs par exemple, et bien j’attends des semaines pour avoir un rendez-vous comme tout le monde), etc, etc. Néanmoins, je n’oublie pas les coups de main que j’ai pu recevoir de proches ou d’inconnus à l’occasion d’événements bien mal venus ou alors tout simplement les échanges enrichissants. A un moment, j’avais pensé à faire une sorte de levée de fonds pour enclencher la vitesse supérieure, me donner plus de moyens et m’entourer. Pour passer d’athlète semi-pro, d’athlète de TOP 10 (comme je l’ai déjà entendu) à professionnel accompli, vainqueur. Lorsque j’observe les meilleurs aujourd’hui, ils ont tout un staff plus ou moins salarié, plus ou moins bénévole, autour d’eux, il semble qu’on ne puisse plus réussir tout seul à ce niveau-là et même à un niveau inférieur maintenant avec la densification des performances. Des levées de fonds, après tout des tonnes de gens, et d’athlètes en particulier, en font sous forme de cagnotte le plus souvent pour financer leur saison ou une course en particulier. Il y a des amateurs qui souhaitent finalement faire financer leurs loisirs, et des professionnels jusqu’à des athlètes qualifiés aux Jeux Olympiques qui n’ont même pas de quoi payer leur vol ou leur matériel pendant que des marques de sport s’engraissent à fond sur leur dos ou que des élus fédéraux et leur cortège mènent la vie de château quand cet argent devrait revenir aux athlètes. Je connais tellement de gens qui se pavanent partout où ils peuvent alors qu’ils devraient être envahis par la honte. Quoi qu’il en soit, et même si j’avais étudié l’économie sociale et solidaire dont les associations, les coopératives, les mutuelles, les fondations, les fonds de dotation sont un pan, j’étais un peu mal à l’aise avec ce concept. Probablement parce que j’avais en tête un autre modèle qui, manifestement, ne marche plus ou alors bien mal. Ce que confirment les tendances au niveau mondial avec l’émergence des FinTech par exemple, tantôt soutenus par des grands groupes financiers aux modèles traditionnels.

Le mieux est l’ennemi du bien me rabâchait mon prof de philo. Cette tendance à vouloir trop bien faire peut nous emmener à passer totalement à côté des choses. De l’extérieur, il paraît que j’ai l’air nonchalant depuis les études en passant par mon ancien boulot jusqu’à aujourd’hui sur les courses. Je connais des athlètes meilleurs que moi dont on dit qu’ils ne font pas le job, qu’ils sont feignants, qu’ils ne sont pas à 100%, qu’ils ne sont pas sérieux… C’est aussi un peu pour eux que je m’exprime. Dans le sport et dans les autres domaines. Combien de fois depuis gamin j’ai entendu que je n’y arriverai pas, que ce n’était pas pour moi, que c’était impossible, que l’on m’a catégoriquement mis des barrières. Aller dans une prépa prestigieuse loin de chez moi pour être la future « élite de la France » en venant d’un lycée de « paysans », être le seul boursier de la promo, aller en école d’ingénieurs puis se réorienter dans un domaine totalement inconnu, l’économie, et réussir haut la main aussi. L’improbable, c’est l’histoire de ma vie. Il y a des gens qui ont été ou sont dans une situation similaire à la mienne en sport et dans d’autres domaines. Et c’est bien difficile d’observer nos comportements, de les analyser, de les comprendre, de trouver les solutions. D’autant plus aujourd’hui avec un temps de cerveau disponible qui s’approche du néant avec toutes les distractions, les flux d’informations et de désinformations, la tendance à vouloir absolument remplir tous les instants de sa vie à base de travail, d’enfants, de loisirs, être performant dans un maximum de domaines et le montrer, combler tous les vides, ne plus se laisser la moindre seconde de réflexion ou de pause de l’esprit.

Un tas d’athlètes, de salariés, de patrons, d’étudiants, de retraités, d’inactifs, disparaissent alors. Parfois moralement. De l’absentéisme, des maladies plus ou moins graves, des burn-outs, des dépressions. Parfois physiquement aussi… On peut être tenté de croire que c’est leur choix d’arrêter, mais c’est bien souvent une question de problèmes dissimulés, latents, et qui finissent par trop peser. Certains vont jusqu’à jeter l’opprobre sur ces gens, les enfoncent, souvent sans s’en rendre compte, via des comparaisons pas fines du tout du genre « oh tu sais, il y a pire dans le monde ». Je suis bien placé pour en parler, je me suis retrouvé dans cette situation avec un proche qui n’allait vraiment pas bien durant une grosse dépression. Et ce n’était vraiment pas le bon comportement à adopter. Et ne vous croyez pas au-dessus de tout et à l’abri parce qu’ayant baigné pendant quelques années dans un milieu de gens solides d’apparence, avec des situations enviables a priori, loin de tout problème psychologique ou de maladies, j’en ai connu qui ont eu des cancers jeunes, qui ont totalement craqué au travail ou dans leur vie de famille, qui ont eu des changements de vie invraisemblables. A cause d’un mal-être du quotidien qui s’accentue au fil du temps ou à cause d’un mal-être plus profond, plus ancien qui finit par revenir à la face comme un boomerang (le cerveau ne s’arrête jamais de réfléchir, l’inconscient est constamment bombardé de pensées).

Je ne suis pas rêveur. Je chasse mes rêves. Et je suis lucide, dans mes victoires comme dans mes défaites, dans mes réussites comme dans mes échecs. Je ne veux pas être ce gars qui s’accroche tant bien que mal à une branche qui pourrit, qui en est réduit à un niveau non satisfaisant alors que le reste tend à montrer le contraire. A cet instant, je crois que si je devais arrêter le haut niveau, j’arrêterais aussi la compétition. Pour moi, cela représente aujourd’hui un passage presque « obligé » pour un pro. En revanche, pour un amateur, il existe bien d’autres moyens pour s’éclater.

Je suis tout de même fier de ce que j’ai pu accomplir en 4 ans, des risques que j’ai pris, de l’immense richesse acquise via des belles rencontres et via mon investissement sportif et extra-sportif, de ce que j’ai pu donner sans communiquer autour, des moments de vie intenses. Mais cela fait un peu trop longtemps que plusieurs aspects de ma situation ne sont plus tenables et qu’il manque des éléments intérieurs essentiels. Je ne sais pas si c’est de la confiance, de l’envie, de la motivation, de l’énergie, du lâcher-prise, un peu de tout cela peut-être. Difficile de savoir qui de l’œuf ou de la poule est arrivé en premier, quel élément était manquant à la base ou a cédé par la suite.

En cette fin d’été 2019, je n’ai aucune idée de la suite à donner à ma carrière. Je tenais à faire le point pour moi-même, pour celles et ceux qui me suivent et me soutiennent depuis le début ou depuis récemment, et, dans un monde où les liens sociaux sont mis à mal, apporter des éléments de compréhension, un partage d’expérience authentique et un éclairage différent. Pas sûr que cette publication soit beaucoup lue et vous pouvez aimer, adorer, détester, rigoler, vous moquer, tout ce que vous voulez. Je suis Romain Garcin et je suis vrai.

Salut

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17 commentaires sur « HISTOIRE VRAIE »

  1. Hello romain une saison difficile c’est bien le terme mais je voulais te dire que je suis tout de même admiratif de ton engagement s’entraîner comme un pro pour ne pas avoir la reconnaissance souhaiter, c’est terrible. Être Pro c’est très compliqué j’espère en tout cas que tu retrouveras le chemin de la victoire et de la vengeance après je suis que un gosse de 17 ans passionné de sport et qui rêverait d’être comme toi, athlète professionnel !!!

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    1. Cher Romain
      Je te suis depuis quelque temps sur Strava et je suis admiratif de tes performances.
      Même si je ne suis qu’un jeune thriatlète de 52 ans doté d’ une très modeste expérience d’1 et demi dans ce sport, je suis très sensible à ton message qui est un concentré d’humanité…
      Dès que le cerveau d’un homme s’interroge à juste titre sur le « pourquoi », les méandres de son esprit s’entrechoquent!
      La flamme et le plaisir peuvent revenir si tu trouves du sens à continuer la compétition, mais inexorablement l’intensité et l’exigence de ce sport au niveau où tu le pratiques usent le corps mais pas seulement…
      un break serait certainement le bien venu; tu peux ne jamais en revenir..
      Il faudra pourtant bien choisir, continuer ou…pas.
      Bon courage dans cette tempête que tu traverses et quoique tu décides , ce sera forcément le meilleur choix car tu seras à ta place.

      Sportivement
      Christophe

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      1. Merci pour tes mots bien choisis Christophe. En effet, souvent je me dis que l’expression imbécile heureux est limite un pléonasme ; ne pas se poser de questions peut être une manière d’être heureux…
        Au plaisir.

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  2. Salut Romain,

    J’ai tout lu et le premier mot qui me vient c’est merci. De ton honnêteté ton implication ton approche de tout ça.

    Moi même j’ai réussi alors que l’histoire n’etait Pas écrite d’avance. Je suis passionné de triathlon, j’ai connu le plus envie, j’ai coupé qq semaines c’est revenu. Mais je sais aussi que les choses sont souvent éphémères ou passagères et que la vie est trop riche pour se laisser s’enfoncer. Alors regardes, observes, stoppe… et prends les décisions qui s’imposent !
    Tu as su le faire en te lançant dans le tri, tu le referas j’en suis sûr…
    Au plaisir de te lire bientôt.
    Coupe l’effort du corps, écoute la tête… et suis ton cœur !

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  3. C’est long à lire…. mais intéressant ! Une belle introspection qui te permettra de te repositionner sur ton avenir assez rapidement, tu as deja fais du chemin dans ta tête !! Courage !!

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  4. Le plaisir avant tout doit rester le fil conducteur même dans la recherche de performance…les doutes ou autres sentiments comme tu les exprimes sont des étapes difficiles mais souvent de reconstruction ou de motivation…je partage grand nombre de tes idées, il faut parfois lâcher prise pour se reconstruire ou relancer…bonne chance à toi

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  5. Salut Romain,

    Je te suis depuis le ventouxman 2017, épreuve ou laquelle je t’ai suivi loin derrière au classement.
    Ton investissement personnel, ta façon de voir la vie et le triathlon accrochent beaucoup d’athlètes. Tu aimerais avoir plus de victoires, d’argent, de reconnaissance…briller plus. Ce que tu as fait, ce que tu es sont déjà une immense preuve de ta valeur humaine.
    Personnellement, à 52 ans, j’ai traversé des périodes basses et sombres, cela fait partie de la vie et tenir bon jusqu’à la nouvelle étincelle te rendra meilleur et plus fort.
    Romain, tu ne seras peut être jamais champion du monde ou olympique mais tu donnes l’espoir et l’envie à beaucoup d’athlètes…c’est sûrement cela ta victoire et voie sur laquelle tu dois poursuivre « la méthode Garcin ».
    Bon repos et remets toi physiquement. Repars sur des petits challenges et l’envie va revenir !
    Bon courage Champion

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  6. Salut Rom, la garce,

    Malgré la distance je continue régulièrement de suivre tes aventures et ton parcours ! J’ai connu ces passages dans un autre sport, ces remises en questions, et j’en passe … En tout cas ce que tu as écrit est vraiment parlant et très réaliste. Je partage beaucoup tes points de vues comme toujours et j’aime cette philosophie de vie !
    Quoi qu’il arrive, même si c’est léger comme mots, ne lâche rien, on croit en toi à fond ! Tu as un potentiel de fou et je suis sûr que tous ces efforts vont payer un jour et que tu sauras montrer à un paquet de monde qu’on peut rester simple et réussir 😉

    Remets toi bien et reviens nous en forme
    Hâte de te lire encore, c’est très bien écrit, peut-être une future carrière (??)

    A très vite

    Florian

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    1. Merci beaucoup mon ami. J’imagine aussi au niveau qui a été le tien que, même dans un sport collectif, on peut se retrouver dans ce genre de situation très limite…
      Et oui j’aimerais bien un jour prendre un micro ou un stylo.
      Au grand plaisir de se revoir

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  7. Bonjour Romain,
    Je suis passionné par l’histoire qu’est la tienne. Je me permets de m’identifier au travers du « vrai » que tu revendiques, des objectifs de vie que tu te fixes (athlète professionnel). Je pratique le cyclisme sur route pour ma 5e saison cette année, je suis encore jeune (19ans), étudiant en école d’ingénieur aussi. J’ai déjà vécu ce « plus envie ». Et malheureusement il revient au pas de course dès que la charge mentale augmente trop. Par charge mentale, j’entends différentes choses : charge d’entraînement bien sûr, stress de la vie, manque de ressource en énergie (sommeil ou nourriture), voyage, et bien d’autres raison de ne plus avoir la flamme de laisser ses tripes sur la route. Je

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    1. Suite :
      Je ne vous connais que depuis peu au travers de Strava, le confinement a du vous faire du bien pour lâcher prise sur les compétitions et retrouver le chemin du plaisir. Je suis curieux de savoir où en êtes-vous, 1 an après…

      Sportivement,
      Sébastien DI STEFANO

      PS : mes excuses pour le message coupé en deux, fausse manip…

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      1. Salut Sébastien,

        Merci pour ton message et cette confidence. Depuis l’automne dernier, j’ai pris beaucoup de notes et je comptais justement en faire une série d’articles. Pour rapidement donner un aperçu, j’ai vécu le confinement de manière très mitigée : s’il a été l’occasion d’aborder les choses différemment (de manière plus que contrainte…), il est tombé beaucoup trop tard par rapport à un travail sur moi-même que j’avais déjà fait pendant l’hiver et il s’est présenté au moment même où j’entrais dans une phase à l’opposé d’une « nécessité » de se plier à une assignation à résidence surveillée, illégale et illégitime…

        A propos de cette charge dont tu parles, si j’ai pu apprendre un état de fait de façon certaine par l’empirisme, par les lectures et les échanges, c’est que nous sommes tous limités. Limités par notre condition humaine. Limités par notre entropie. Et j’espère que ça ne changera jamais (coucou les dégénérés de transhumanistes). Et ce qui est par dessus tout pénible, c’est la comparaison à l’autre. Pourquoi a-t-il des limites supérieures aux miennes ? Comment ça se fait ? Je n’en fait pas assez ? Etc. Nos sociétés malades modernes nous poussent sans cesse à nous comparer aux autres, à entrer dans une compétition effrénée et destructrice, loin d’une quelconque pureté d’esprit de compétition (ça mériterait un article ça aussi, mais d’autres l’ont abordé avant moi, notamment dans « Le Sport et des Valeurs » de Michael Attali). En fait, il faut s’imaginer une maison avec un terrain et une clôture plus ou moins proche de la maison. Cette image représente tes capacités, le nombre de choses que tu pourras faire la journée, l’intensité d’énergie que tu pourras y mettre, etc. Certains ont des jardinets, d’autres ont des hectares de forêt, c’est ainsi. Et si tu t’approches trop près de la clôture, c’est là où est le danger puisque tu vas toucher tes limites, et si tu les touches trop souvent ou trop longtemps tu vas finir grillé. Le « jeu » consiste donc à explorer ces limites petit à petit, à les évaluer sous toutes leurs couleurs pour être en mesure de repérer quand tu es potentiellement en danger d’un côté et pour optimiser ton plein potentiel d’un autre côté si c’est ce que tu souhaites (pas tout le monde n’a pour ambition cela et ça se respecte aussi). Et pour revenir à la comparaison aux autres, il faut bien comprendre que cette clôture n’est pas uniformément répartie sur le terrain, ce n’est pas un cercle mais plutôt des piquets parfois proches et parfois éloignés de la maison. Concrètement, tu es en école d’ingénieur et, peut-être que par rapport à d’autres cyclistes que tu connais, tu seras capable d’aller plus loin sur des aspects trivialement qualifiés d’intellectuels quand eux auront une capacité à s’entraîner 30 heures par semaine toute l’année grâce à un certain métabolisme. L’idée centrale, c’est d’accepter ses limites. Ensuite, on verra dans les articles que faire de l’espace disponible sur son terrain…

        Au plaisir,
        Romain

        PS : les articles viendront dans les semaines à venir, j’essaie encore de vivre au mieux la courte saison d’été ici à la montagne.

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